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plus en plus dépourvus de spontanéité, sont devenus automatiques dans leur fonctionnement. On sait d’ailleurs que toute fonction non exercée est de jour en jour plus difficile, que tout organe non exercé s’atrophie. Chez les sujets atteints de strabisme, l’œil le plus faible s’affaiblit progressivement par le manque d’exercice, jusqu’à perdre parfois la vision. Il en est ainsi de l’intelligence ou conscience rudimentaire qui, à l’origine, existait dans les ganglions inférieurs. Chez le ver de terre, la tête n’a pas beaucoup plus de génie que les autres segmens de l’animal; chez l’homme, la tête est un Bonaparte qui plie tout le reste sous son joug. Les animalcules inférieurs soudés l’un à l’autre, sous la domination du cerveau, sont, si l’on peut dire, de plus en plus hébétés par cette discipline inexorable. Pourtant, la vie propre des parties se manifeste encore chez les animaux supérieurs : le cœur enlevé à un éléphant peut continuer assez longtemps de battre ; l’homme décapité dont on blesse la poitrine peut, dans certaines conditions, faire avec le bras un mouvement de défense et porter la main à l’endroit menacé, — mouvement accompagné sans doute de vagues sensations douloureuses dans la moelle épinière.

On a d’abord voulu expliquer tous ces faits par un mécanisme brut, analogue, disait Maudsley, à celui du piston d’une machine à vapeur. Mais une machine dont on altère ou brise un rouage essaie-t-elle de poursuivre quand même le résultat utile pour lequel elle a été faite? Enlevez une roue à une locomotive, la locomotive n’essaiera pas de se tenir en équilibre et de marcher avec l’autre roue. Au contraire, irritez avec un acide le genou droit d’une grenouille décapitée, elle essaiera de l’essuyer, comme d’ordinaire, avec le pied droit. — Résultat tout mécanique, disent les partisans de Maudsley : quoiqu’il n’y ait plus aucune sensation, la machine fonctionne quand même, comme s’il y avait encore utilité but poursuivi. — Fort bien ; mais alors, si vous coupez le pied droit et irritez ensuite le genou droit avec de l’acide, la machine devra être réduite à l’impuissance ; tout au plus le moignon droit pourra-t-il s’agiter. Or, ce n’est point là ce qui se passe, et voici un fait significatif: ne pouvant, comme d’habitude, essuyer le genou droit avec le pied droit, l’animal décapité l’essuie avec le pied gauche; pour une machine qui ne sent pas, le procédé est assez ingénieux. N’est-il donc pas naturel de croire avec Pflüger que, dans les lobes optiques, dans le cervelet et dans la moelle épinière de l’animal décapité, il y a encore des sensations, avec des réactions motrices appropriées? Goltz arrive aux mêmes conclusions. Une grenouille saine, emprisonnée dans l’eau par une glace placée au-dessus de sa tête, saura fort bien découvrir une