Page:Revue des Deux Mondes - 1891 - tome 107.djvu/799

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

des myriades de gouttes d’eau qui nous pressent et dont toutes les pressions se ressemblent? Il y a des systèmes de mouvemens, comme ceux du violoniste, qui sont enchaînés par l’habitude: la plus petite excitation du premier anneau de la chaîne produit une décharge le long des autres anneaux, et cette excitation, en certains cas, peut n’avoir ni le degré d’intensité, ni le degré de distinction nécessaire pour être reconnue et nommée par le moi. C’est une excitation subconsciente.

Beaucoup de faits qu’on prétendait naguère inconsciens ne tarderont pas à s’expliquer, croyons-nous, par l’association d’états de conscience faibles et indistincts avec d’autres états de conscience plus forts et plus distincts. C’est ainsi que nous interprétons la plupart des curieuses expériences de M. Binet et de M. Pierre Janet sur les hystériques ayant des membres insensibles. Dans la main insensible d’une hystérique placez une paire de ciseaux : sans rien sentir en apparence, elle n’en fera pas moins les mouvemens nécessaires pour couper. Faut-il en conclure, comme le fait M. Binet, qu’il y ait eu une sensation vraiment « inconsciente? » Cette conclusion n’est pas nécessaire. Un changement trop faible et trop indistinct pour que le moi puisse le remarquer à part n’en suffit pas moins à produire la décharge nerveuse sur les centres moteurs immédiatement associés ; or, ces centres moteurs sont précisément ceux dont la mise en activité amènerait l’action de couper avec des ciseaux : il y aura donc décharge en ce sens, — et décharge d’autant plus sûre, d’autant plus machinale que le cerveau, qui l’ignore, ne pourra plus l’inhiber ni la diriger. L’action se rapproche alors des actes réflexes accomplis par les centres inférieurs du cerveau ou par ceux de la moelle.

Une autre expérience, c’est d’exciter par le contact d’un objet connu, tel qu’un couteau, la paume de la main insensible: l’hystérique ne sent pas le contact du couteau, mais elle peut voir tout à coup un couteau. Selon nous, les mouvemens tactiles sont alors trop faibles pour provoquer l’image tactile de l’objet, mais suffisans pour s’associer aux mouvemens des centres visuels : ceux-ci, n’étant pas engourdis, se mettent tout d’un coup à vibrer et remplissent la conscience, comme une apparition qui surgirait dans la nuit.

Telle autre malade dont on touche le doigt n’éprouve aucune sensation cutanée localisable, mais elle a immédiatement la représentation visuelle de son doigt. Telle autre devine tout de suite, les yeux fermés, le mot qu’on lui a fait tracer: elle n’a pourtant pas senti, dit-elle, le mouvement imprimé à sa main pour la faire écrire, mais elle a la représentation visuelle du mot, qui lui apparaît