de M. Liégeois lui-même : « Je ne t’ai pas tuée, puisque tu me parles. »
Maintenant, l’hypnotiseur ne pourrait-il abuser de cette confiance ? Après avoir joué l’honnêteté, qu’il tente de changer l’hypnotisée en instrument d’un crime ou d’une action malhonnête, n’y pourra-t-il réussir? Si M. Liégeois était un vrai criminel et s’il avait réellement mis une balle dans le pistolet à expérience, il est clair que la jeune fille, endormie sous une idée de confiance absolue, eût tiré le coup et tué sa mère. C’eût été là un abus de confiance analogue à celui qu’on commettrait en chargeant de balles le pistolet avec lequel jouent des enfans.
De plus, les cas rapportés par M. Bonjean prouvent que, si un hypnotiseur criminel était assez habile, il pourrait fort bien abuser de son pouvoir. M. Bonjean donne à une brave femme le faux souvenir d’une dette contractée; depuis ce temps, la femme vient tous les mois lui apporter de l’argent ; elle lui a écrit récemment une lettre d’excuse pour un retard de paiement. C’est qu’elle ne peut soupçonner de vol M. Bonjean.
La confiance en l’honnêteté de l’hypnotiseur n’est pas la seule raison qui explique la docilité aux crimes de laboratoire. N’y a-t-il pas aussi beaucoup de cette inintelligence de fond, sinon de surface, qui caractérise le rêve? Ce qui constitue la liberté relative de l’homme, c’est la pleine conscience de toutes les idées qui influent sur ses actions. Pour la moralité, la question n’est pas que l’intelligence soit plus ou moins grande, mais que cette intelligence, vif éclat ou modeste lumière, éclaire d’une façon égale les notions directrices qui emplissent une tête humaine, afin qu’elles gardent leurs valeurs respectives ; alors l’équilibre existe et l’homme agit en connaissance de cause, c’est-à-dire d’une façon morale. Mais c’est un danger qu’une intelligence, fùt-elle vive en toutes choses, éclaire néanmoins avec une intensité exclusive telles ou telles idées : l’équilibre est déjà rompu ; qu’est-ce donc lorsque l’ombre couvre entièrement certains côtés pour ne laisser saillir que certains autres? Or, nous avons défini l’hypnotisme l’engourdissement dans la conscience de certaines séries d’idées (les plus importantes, puisqu’elles sont celles du sujet éveillé), tandis que d’autres, secondaires à l’état normal, occupent seules la scène intérieure. Cet état de choses rend l’hypnotisé semblable à un homme endormi; l’hypnotisé fait un rêve ou des rêves, et la seule différence consiste en ce que ce n’est pas sa fantaisie, mais celle de l’hypnotiseur qui les lui suggère. Eh bien, qu’arrive-t-il en rêve? C’est que la raison sommeille et que l’absurdité règne ; la plupart du temps, on ne voit même pas sa folie et on la suit en esclave ; quelquefois on en prend une conscience toute de surface, mais qui ne saurait nous empêcher