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d’être dociles, car, pour ne pas l’être, il faudrait faire un effort, c’est-à-dire ne pas dormir tout à fait. Ainsi doit-il en être de l’hypnotisé, surtout s’il s’est endormi aussi confiant sous les passes que le soir sur son oreiller. Peut-être, si le sujet se méfiait, ne s’endormirait-il qu’avec un désir de résistance tout au fond de lui; c’est-à-dire que, par une auto-suggestion, il tiendrait éveillée en partie sa volonté, laquelle ne serait plus entièrement asservie à celle de l’hypnotiseur; mais alors, serait-ce l’absolu sommeil? Quand la jeune fille tire le pistolet chargé, non-seulement elle a pleine confiance, mais elle ne comprend même pas tout ce que signifie ce coup de pistolet. C’est ainsi que M. Tarde buvait en rêve, nous raconte-t-il, dans le crâne d’un petit enfant sans éprouver autre chose que de la surprise. On ne peut donc, aussi sommairement que le fait l’école de Paris, se prononcer sur la non-importance des « crimes de laboratoire, » qui inquiètent avec raison les psychologues et les moralistes. Ceux-ci y voient une perturbation plus ou moins profonde de la conscience personnelle, qui peut entraîner de graves conséquences morales.


VI.

La nouvelle psychologie, après tant d’observations et d’expérimentations, est-elle plus éclairée que l’ancienne sur la première origine de la conscience? — Non, sans doute. Individuum ineffabile, aimait à répéter Schopenhauer. Comment les êtres arrivent-ils à être distincts l’un de l’autre, à se détacher dans l’univers? Comment surtout arrivent-ils à exister non-seulement en eux-mêmes, mais pour eux-mêmes, et à dire moi? C’est là le grand mystère philosophique, aussi insondable aujourd’hui que jamais. La conscience, qui nous révèle à nous-mêmes notre réalité, est la condition de toute connaissance que nous pouvons acquérir des autres réalités; elle est un fait ultime et inexplicable, puisque toute explication la présuppose. Par quel prodige la conscience réussirait-elle donc à découvrir sa propre origine? Si elle la cherche en elle-même, dans le domaine des faits de conscience, elle roule en un cercle vicieux; si elle la cherche hors d’elle-même, dans des faits supposés en dehors de toute conscience, dans la pleine nuit de l’inconscient, elle ne s’y trouvera jamais. La lumière ne peut découvrir son origine dans les ténèbres absolues : en voulant les regarder, elle les dissipe. Il y a donc pour la conscience quelque chose d’entièrement certain : c’est elle-même; et d’entièrement inexplicable par autre chose : c’est encore elle-même.

Une fois accordé que la racine dernière de notre conscience, comme de notre existence et de sa relation à l’existence totale,