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Page:Revue des Deux Mondes - 1891 - tome 107.djvu/834

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des associations : il ne connaissait pas la liberté d’association. C’est chose toute différente : c’est même tout le contraire.

La liberté d’association peut, assurément, engendrer beaucoup d’abus, et il peut en être fait le plus détestable usage. Contre ceux qui voient là un motif suffisant de la prohiber, il est inutile de raisonner : c’est la vieille querelle de la liberté, qui se discutera tant qu’il y aura des hommes. A ceux pour qui la liberté n’est pas un vain mot, il suffit d’indiquer qu’elle a ses limites marquées, non pas par la distinction un peu naïve et prodigieusement vague de la liberté d’avec la licence, mais par l’application de ce principe de droit, que la liberté entraîne nécessairement, comme conséquence et comme correctif, la responsabilité. Il en est, à cet égard, de l’association comme de la presse. Si elle sert à commettre des délits, il est juste et naturel qu’elle en soit une circonstance aggravante et qu’elle soit punie, non comme association, mais parce qu’elle a été employée à mal taire. Non-seulement ce n’est pas là une atteinte à la liberté, mais c’en est la condition même.


IV.

Telle est la force du droit et de la vérité que, malgré tous les préjugés et les répugnances, le sentiment de la liberté est incontestablement en voie de progrès. Il a inspiré la jurisprudence, qui, sous peine de tomber dans l’absurde, a été obligée de reconnaître aux associations une existence de fait et a fini par attribuer aux sociétés civiles la personnalité qui leur a été longtemps contestée. Il s’impose au gouvernement, qui tolère et laisse croître une multitude d’associations que, rigoureusement, il pourrait défendre. Il se traduit même dans la législation, qui, çà et là, sans grande méthode, a fait cesser, pour certaines associations, les prohibitions et les peines. Il y a trente ans à peine que le régime de l’autorisation s’étendait à toutes les sociétés anonymes. Qui s’en souvient aujourd’hui? Les lois de 1863 et de 1867 les ont affranchies, et, malgré toutes les critiques qu’on a pu leur faire, elles ont réalisé un grand progrès et puissamment servi les intérêts du commerce. Pour les associations, il s’en faut que la loi ait marché du même pas. Pourtant il en est qu’elle a déjà dégagées de ses prohibitions : par exemple, les associations syndicales pour l’endiguement ou l’irrigation des propriétés, les associations pour l’enseignement supérieur et quelques autres. L’innovation la plus hardie a été à coup sûr la loi du 21 mars J881 sur les syndicats professionnels, loi si insuffisante, dont la critique a été faite tant de fois et s’est vue si bien justifiée par de récens événemens. En bornant l’action des syndicats à « l’étude ou à la défense des intérêts » communs,