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femmes, des enfans massacrés par centaines de mille ; les villages détruits, les provinces désolées par des hordes sanguinaires. Les brochures des voyageurs, la correspondance des missionnaires permettaient de reconstituer ces effroyables chasses à l’homme et d’en présenter à l’Europe le tableau fidèle. Celle-ci pouvait suivre du regard les troupes esclavagistes d’Arabes, de métis et de nègres tombant sur des populations sans défense, mettant le feu aux huttes de paille, poursuivant les fugitifs dans les bois, dans les lits desséchés des rivières, dans les hautes herbes des vallées, tuant les uns, emmenant les autres vers les marchés de l’intérieur; puis l’odyssée sanglante des caravanes, les prisonniers chargés de chaînes et reliés entre eux. par des cangues à compartimens qui faisaient de la marche un supplice; les conducteurs discernant bien vite ceux qu’épuisait cette marche et qui devaient succomber à la fatigue, assénant alors par économie un coup terrible sur la nuque de ces misérables qui tombaient pour ne plus se relever; ceux qu’on n’avait pas tués du coup dévorés encore vivans par les bêtes féroces, la caravane diminuant ainsi chaque jour et son itinéraire marqué par les ossemens des victimes ; enfin les débris de ce troupeau parvenant au lieu du marché, mis en vente comme un bétail immonde, et l’homme devenant à certaines époques, dans certains lieux, pour certaines transactions, la monnaie préférée aux espèces métalliques ou aux coquillages de la mer. Le cardinal Lavigerie put soutenir qu’on n’avait vu de boucherie semblable sur aucun point du globe. Cameron eut le droit de poser cette question à l’univers : « Doit-on permettre un commerce d’esclaves qui cause en Afrique, au minimum, une perte annuelle de plus de cinq cent mille existences? »

La recrudescence de la traite et les excès des bandes esclavagistes agitaient déjà l’opinion publique lorsque l’Allemagne invita, de concert avec la France, les puissances intéressées dans le commerce de l’Afrique occidentale à se réunir en conférence à Berlin en novembre 1884. Au premier plan des questions à traiter figurait la conclusion d’un accord relatif à la liberté du commerce dans le bassin et aux embouchures du Congo. Mais il est un commerce qui doit faire exception à la règle générale : celui des esclaves, « En conviant la conférence, dit M. de Bismarck dans son discours d’ouverture, le gouvernement impérial a été guidé par la conviction que tous les gouvernemens invités partagent le désir d’associer les indigènes d’Afrique à la civilisation non-seulement en ouvrant l’intérieur de ce continent au commerce, mais encore en préparant la suppression de l’esclavage, surtout de la traite des noirs. » Par l’organe de sir Edward Malet, l’Angleterre prend, sur l’heure, acte