Page:Revue des Deux Mondes - 1891 - tome 107.djvu/879

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

anglo-français le 5 août, anglo-portugais le 20 août 1890, anglo-italien le 24 mars 1891[1] : la nécessité d’un Acte général subsistait, et les représentans des nations civilisées, réunis à Bruxelles le 2 juillet 1891 pour l’échange des ratifications, pouvaient dire à leur tour : « Nous sommes aujourd’hui ce que nous étions hier. »

Toutefois, ce jour-là, les représentans de la France ne se réunissaient pas à ceux des autres nations. Nos députés venaient de voter, en effet, à une forte majorité, cette proposition : « La chambre surseoit à donner l’autorisation de ratifier l’Acte général de la conférence de Bruxelles, du 2 juillet 1890, la déclaration en date du même jour et le protocole signé à Paris, le 9 février 1891. » Par là même ils avaient rejeté non pas définitivement, mais provisoirement la convention internationale signée par dix-sept puissances. Or il n’était pas facile de proposer aux diplomates du monde entier le remaniement d’une œuvre si délicate et de si longue haleine, et cependant on ne pouvait pas non plus se passer de la ratification française. Il était clair, par exemple, que, si les boutres des indigènes et des Arabes, les bâtimens de tous les trafiquans devaient échapper, quel que fût leur chargement, par cela seul qu’ils auraient arboré le pavillon français, aux vérifications de n’importe quelle marine militaire, si ce n’est des croiseurs entretenus par la France, hors d’état de faire à elle seule la police de la zone « contaminée, » la répression de la traite devenait une chimère. Le vote de la chambre française anéantissait donc en un clin d’œil les laborieux efforts tentés depuis plusieurs années sur toute la surface de l’Europe par la ligue antiesclavagiste, et, comme on ne pouvait pas nier qu’une grande partie de l’Afrique continuât d’être décimée par le trafic des noirs[2], l’œuvre du roi Léopold et de tant d’autres hommes de bien était frappée au cœur : la cause de la civilisation venait de subir un grave échec.


II.

Comment notre chambre des députés a-t-elle pris un parti si manifestement contraire aux intérêts généraux de l’humanité? Elle

  1. Voir le discours de M. Deloncle (Officiel du 25 juin 1891).
  2. Ainsi le Marungou vient d’être dévasté par Makutubu, homme à la solde des Arabes de Zanzibar. Les négriers ont enlevé 3,000 esclaves, mais n’en ont ramené que 2,000 à Kirando, parce qu’ils ont massacré les traînards : en sortant du territoire de Kizabi, ils ont jeté dans une rivière près de 300 femmes ou enfans trop fatigués pour continuer la route. Des bandes esclavagistes ont été détruites ou dispersées récemment, sur divers points, dans l’État du Congo, et les esclaves qu’elles prenaient à leur suite ont été libérés, mais après des luttes sanglantes. Les négriers déciment actuellement l’Ounyanyembé et l’Urna (région occidentale du Tanganyika).