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à cette tâche, comment s’y prendraient-ils? Un boutre arabe sort d’un port quelconque de la côte avec le pavillon français, auquel il accorderait naturellement la préférence, puisqu’il échapperait, en l’arborant, aux croiseurs des seize autres signataires. Croit-on que, se trouvant en vue d’un de nos vaisseaux, il va garder ce pavillon? Non sans doute, ainsi que l’a très bien expliqué M. Charmes et que l’avaient expliqué déjà les instructions françaises annexées à la convention du 29 mai 1845 : il s’empresse de le changer; il arbore un pavillon anglais, italien ou allemand; il a un assortiment très complet et très éclectique de pavillons ; suivant les circonstances, il choisit l’un ou l’autre et par là même évite à peu près tout danger. L’efficacité de la répression est donc liée à la réciprocité du contrôle. On a fait à la France une douzaine de concessions qui ménageaient son amour-propre et mettaient, en fait, son commerce à l’abri de toute vexation : par là même toutes les autres nations maritimes la plaçaient dans une sphère distincte et rendaient un hommage exceptionnel à la probité de sa marine marchande. Mais on ne pouvait, sans l’exclure du nouvel accord international, déclarer qu’elle agirait isolément, à sa guise, et ne relèverait que d’elle-même. La retraite ou l’exclusion de la France anéantissait d’ailleurs l’œuvre de la conférence en mettant un obstacle insurmontable à la répression de la traite.

L’opinion publique ne s’y est pas trompée. Dans la session de 1842, M. Guizot, en se heurtant au sentiment de la chambre, se heurtait au sentiment général, et la discussion de l’adresse avait produit dans tout le pays un effet défavorable au ministère. En 1891, le pays a été déconcerté plutôt que satisfait. La presse, en général, a froidement accueilli le vote du 25 juin ; le débat parlementaire n’a pas échauffé le corps électoral, et la France n’a pas été persuadée qu’on eût, à Bruxelles, méconnu ses traditions, compromis son honneur ou ses intérêts. A-t-elle manqué de clairvoyance?


IV.

Nous sommes loin de prétendre que le gouvernement de juillet, en concédant à l’Angleterre, par les conventions de 1831 et de 1833, le droit de visite réciproque (on sait qu’il s’agissait alors du véritable droit de visite), fût resté fidèle à la tradition française. Le maréchal Sébastiani s’applaudissait d’avoir signé le premier de ces deux traités, mais « parce que, sans cela, l’alliance anglaise aurait été rompue : » or tout le monde sait que nous étions portés, après la révolution de 1830, à rechercher l’appui de l’Angleterre pour contre-balancer le mauvais vouloir des autres puissances. Il faut bien reconnaître, en outre, que la même tradition fut abandonnée