leurs annales. Ceux qui combattent pour nos traditions ne sauraient méconnaître la plus ancienne et la plus noble. Ils ne peuvent oublier que la France a marché dans tous les temps à l’avant-garde de la civilisation et revendiqué dans le monde entier l’égalité, la fraternité de la race humaine. Elle a devancé l’Europe féodale dans l’abolition du servage, frayé des chemins nouveaux, bien moins pour trouver des débouchés à son commerce que pour enseigner les nations, propagé l’évangile, c’est-à-dire le code même de la liberté dans l’Inde, dans l’extrême Orient, chez les peuplades sauvages de l’Amérique. Après la révolution de 1789, elle a proclamé l’affranchissement de ses propres esclaves. En 1848, la seconde république reprenait les desseins inachevés de la première, et consommait l’œuvre d’émancipation. Nous avions conclu dès 1814 avec l’Angleterre un accord séparé pour faire prononcer par toutes les puissances de la chrétienté l’abolition universelle et définitive de la traite. À qui, d’ailleurs, faut-il redire cette histoire ? Nos enfans la savent avant que leurs maîtres la leur aient apprise. Tous ces grands souvenirs ne peuvent pas s’effacer devant le fantôme du droit de visite. Allons-nous maintenant répudier ce passé glorieux en paralysant les efforts faits par tous les peuples civilisés pour parvenir à la répression de la traite ? Si la France se demande où, quand on a méconnu ses traditions véritables, elle arrivera peut-être à cette conclusion : ce n’est pas à Bruxelles qu’on a manqué de mémoire.
Il importe peu, dira-t-on, que la tradition soit respectée si l’honneur est compromis. Mais l’est-il ? j’ai déjà tenté d’établir, en énumérant les concessions faites à la France ou par la France, que son honneur était sauf. Il convient, pour achever la démonstration, d’examiner s’il en serait de même au cas où nous ferions avorter la conférence de Bruxelles.
Toutes les puissances maritimes ont décidément reconnu, nous le supposons un moment, qu’on ne pouvait s’entendre avec le peuple français. Non-seulement on n’organise pas de surveillance commune, mais chacun des signataires prend ou ne prend pas, à son gré, les mesures préventives ou répressives que la situation commande. Chacun accusera, bien entendu, son voisin de désavouer hypocritement le trafic des esclaves en le favorisant par de secrètes complaisances et d’accaparer le bénéfice de l’infâme commerce, chacun se croira dupe et personne ne voudra l’être : on va donc rétrograder à pas pressés vers la barbarie. Est-il malaisé de prévoir ce qui sera répondu de toutes parts aux récriminations des uns, aux clameurs désespérées des autres ? « Plaignez-vous à la France : elle a refusé de combiner ses efforts avec ceux du monde entier. » Si ce concert d’imprécations éclate, la bonne renommée