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commune les instructions mêmes que nous avions données depuis 1867 à notre marine nationale en y ajoutant un certain nombre de dispositions favorables à la liberté des mers. Nous restreignons définitivement à la piraterie le droit de visite en temps de paix, nous pouvons soustraire par là même aux juridictions étrangères ou internationales les bâtimens suspects qui ont arboré nos couleurs, nous obtenons qu’on proclame l’immunité des eaux territoriales, nous faisons reculer le droit de visite dans l’espace en resserrant la zone contaminée, nous affranchissons presque tout le commerce français en préservant du contrôle réciproque les navires de 500 tonneaux, nous protégeons tout ce qui navigue à l’abri de notre pavillon contre des investigations indiscrètes en abrégeant la liste des papiers à vérifier, et nous assurons en outre, dans cet ordre d’idées, aux navires français proprement dits un traitement exceptionnel ; pour qu’aucune équivoque ne subsiste, on confie la rédaction de cette convention nouvelle aux plénipotentiaires de la puissance à laquelle nous attachent en même temps la sympathie la plus vive et la plus étroite communauté d’intérêts. C’est fait! Nul ne pouvait espérer qu’on nous imposât, pour aboutir à cette honorable transaction, de moindres sacrifices; et, quand nos plénipotentiaires nous apportent le traité, nous nous regardons comme outragés! nous sommes sur le point de retirer notre signature ! Bien plus, un certain nombre d’hommes politiques, et des plus sérieux, envisagent avec une sorte de satisfaction les suites de ce revirement ! On ne se demande ni comment l’Europe jugera cette conduite, ni si nos ennemis n’exploiteront pas contre nous notre inconséquence !

Cependant nous ne méconnaissons pas les intentions du parlement. La chambre des députés s’est trompée ; elle a mal servi les intérêts, mais par excès d’amour, pour avoir craint qu’un souffle ne ternît l’honneur de la patrie. Celle-ci peut à peine lui reprocher d’avoir placé cet honneur dans une sphère si haute. Elle a cependant le droit de compter sur l’ardeur d’un tel patriotisme et de faire appel à ce sentiment exalté, de demander non pas qu’on l’aime davantage, mais qu’on sache mieux l’aimer. Il s’agit de sacrifier une noble chimère au véritable intérêt de la France. La représentation nationale ira jusqu’au bout de son devoir en consentant à discerner quel est son devoir.


ARTHUR DESJARDINS.