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LA MADONE DE BUSOWISKA.

— Que faut-il que je fasse pour que mon Wasylek ne soit pas un orphelin abandonné, là-haut ?.. lui demanda-t-elle d’une voix mystérieuse en poussant un profond soupir.

L’organiste, qui se considérait comme un homme d’église, la regarda d’un air de grande commisération, puis examina pendant quelques instans les tiges vernies de ses bottes qui reluisaient comme celles du révérend chanoine, et lui répondit :

— Wasylek ne cessera d’être orphelin, là-haut, que le jour où vous mourrez !

Cette réponse était si terriblement logique que Nasta en demeura bouche close. Quand elle mourrait !.. Mais sait-on quand on meurt ?.. et d’ici-là, fallait-il laisser languir cet enfant ?.. Onufry, le cocher du monastère des Basiliens, qui avait blanchi au service des vénérables moines, lui donnerait peut-être un bon conseil, elle essaya donc de le guetter sur la route quand il traversait la forêt dans sa briska.

C’était un homme taciturne, il l’écouta débiter son chapelet sans broncher, et quand elle eut fini, il fixa un instant les yeux sur le sac de cuir qu’elle portait en bandoulière, retira lentement sa pipe de sa bouche, et, lui montrant le ciel de son grand doigt maigre, il dit avec un accent grave, mêlé d’un peu d’ironie :

— Ah bah !.. si on pouvait inventer une poste pour le paradis !.. Puis, très satisfait de cette laconique réponse, il remit sa pipe

entre ses dents et serra les lèvres, comme pour bien indiquer qu’on ne lui arracherait plus une parole aujourd’hui.

— Ah !.. s’il y avait une poste pour le paradis, — répétait Nasta, en le regardant s’éloigner sous la grande voûte de verdure,.. mais puisqu’il n’y en avait pas...

Il n’existait à Busowiska ni église latine, ni cerkiew grecque-uniate. Les habitans vivaient donc, comme dans beaucoup de villages des Carpathes, sans protection, ni enseignement religieux. Cela explique l’obscurité qui régnait dans les idées de la pauvre Nasta et son étrange compréhension des choses sacrées. Aux jours de grande fête, tous les villageois se rendaient processionnellement à l’église de Tersow, qui était la paroisse uniate la plus rapprochée. Nasta avait coutume de n’y aller qu’une seule fois l’an, le vendredi saint, pour se prosterner devant l’icône, et faire bénir ses brioches et ses œufs de Pâques, mais depuis la mort de son fils elle n’y était point allée. A quoi bon, puisqu’il n’y avait maintenant plus personne à la maison pour manger les gâteaux et les œufs bénits ?.. Et quant à dire une prière,.. son cœur eût éclaté sur ses lèvres !

Aujourd’hui cependant que ses idées avaient pris une direction nouvelle, elle éprouvait le besoin d’entrer dans une église. Sans