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Page:Revue des Deux Mondes - 1891 - tome 107.djvu/92

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REVUE DES DEUX MONDES.

doute elle y entendrait prêcher, et qui sait si dans son sermon le pope Tarczanin ne glisserait pas quelques paroles au sujet des chérubins et des archanges, comme l’avait fait, l’autre jour, le prêtre latin.

Mais le bon pope ne souffla pas un mot des milices célestes, il se contenta de parler de la prière et de sa toute-puissance, il dit que c’était la grande consolation des malheureux et le refuge des âmes souffrantes, que la prière rapprochait du ciel, enfin qu’elle était comme une poste entre la terre et le paradis. Pendant toute la première partie du sermon, Nasta n’avait pas très bien compris ce qui se disait, elle se contentait de se frapper sans interruption la poitrine de toutes ses forces, en poussant de profonds soupirs, mêlés d’éjaculations douloureuses, ainsi que le faisaient tous ceux qui l’entouraient, — car, sans cela, le sermon n’aurait aucun efficacité pour l’âme. Mais aux dernières paroles que prononça le prêtre, elle sortit brusquement de l’engourdissement mystique où elle était plongée, — cessa de se frapper la poitrine, et, les yeux fixés sur le prêtre, elle écouta.

Une poste entre la terre et le paradis ! il en existait donc une... et Onufry se trompait ! Seulement... pour se servir de cette poste... il fallait savoir prier, et la pauvre Nasta ignorait cet art... c’est à peine si elle pouvait réciter la moitié d’un pater, et quant au credo, elle n’en connaissait pas le premier mot... Et puis, du reste, dans ce lambeau de prière qu’elle savait par cœur, il n’y avait pas un seul mot à propos de Wasylek, alors... à quoi cela pouvait-il lui servir !... Car s’il est vrai qu’une prière doit être une lettre pour le ciel, il faut au moins qu’on y parle clairement de celui à qui on l’envoie... de même que quand on écrit, on met l’adresse sur la lettre... Or, Nasta ne savait pas plus écrire qu’elle ne savait prier. Elle devait donc trouver quelqu’un qui le fit pour elle !..

Quand un homme de Busowiska voulait écrire à son fils au régiment, il allait en ville trouver un certain Motylewicz, écrivain de son métier... Motylewicz prenait de l’argent pour sa peine, mais ce n’était pas assez, il fallait encore acheter à la poste le timbre de l’empereur, car sans cela,.. rien... Et puis... qu’est-ce qu’une lettre, quand elle est vide ?.. Le nommé Dymitry, dont le fils était au régiment, avait vendu sa génisse pour lui envoyer de l’argent !.. et la vieille Jawdocha avait été mettre en gage jusqu’au dernier rang de son collier de corail chez la juive Bajnysza,.. — celle qui vend du beurre... — pour envoyer un peu d’argent à son garçon, campé là-bas, en Hongrie, au-delà des eaux et des monts... Pourquoi, elle, Nasta, voudrait-elle avoir tout cela pour rien ?.. Elle était pauvre, et il n’y avait rien à y changer... mais on sait bien que ce qui coûte, coûte, et que dans ce monde on n’a rien pour rien !..

A dater de ce moment, on ne rencontrait plus Nasta que la tête