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loi punissant la corruption électorale. Ce ne sont pas les lois qui manquent en Italie, il y en a sur toute chose, c’est l’application qui est souvent en défaut. Les magistrats n’osent guère toucher à cette loi-ci, dans la crainte de s’y brûler les doigts. Oubliant cette prudente réserve, un préteur (sorte de juge en première instance), à Venise, crut de son devoir d’appliquer la loi à des pratiques mises en œuvre pour faire élire un député ami du gouvernement. Il fut déplacé, et cette punition rendra ses collègues plus sages. Il est, au reste, assez difficile de distinguer bien exactement les personnes auxquelles on pourrait impunément appliquer la loi, car l’adversaire de la veille peut être l’ami du lendemain; et tous les députés ne pratiquent pas les maximes de Louis XII, qui ne se rappelait plus les injures faites au duc d’Orléans.

Cette décadence du régime parlementaire, qui s’est produite surtout après l’année 1876, et qui depuis lors n’a cessé d’augmenter, impressionne vivement tous les bons esprits, et l’on a proposé plusieurs moyens de l’enrayer. Le marquis Alfieri, suivi en cela de plusieurs hommes politiques importans, aurait voulu renforcer l’action du sénat, comme contrepoids à la chambre des députés. Mais l’on conçoit aisément que celle-ci n’est nullement disposée à se dessaisir d’un pouvoir dont elle retire actuellement tant d’avantages, et le pays ne voit pas encore assez clairement les inconvéniens qui résultent des abus de ce pouvoir pour exiger qu’on y porte remède. En attendant, le mal s’accroît et s’étend tous les jours.

Un milieu ainsi constitué devait faire surgir l’homme qui en personnifierait les tendances. Ce fut Depretis. Esprit sceptique, ne s’embarrassant guère de principes ni de convictions, peu soucieux de la vérité, profond connaisseur des faiblesses, des convoitises, des vices des hommes, et sachant en tirer parti sans scrupules pour arriver à ses fins, d’une habileté consommée dans la stratégie parlementaire, prêt à suivre toute voie qui lui assurait la majorité, sauf à rebrousser chemin, dès que le vent venait à tourner, il jouit pendant les dernières années de sa vie de la dictature la plus absolue qui se puisse exercer dans un État parlementaire.

La désagrégation des partis n’était pas son œuvre. Au contraire, son pouvoir en était la conséquence ; mais ce même pouvoir servit à son tour à hâter l’accomplissement de l’œuvre de dissolution dont il était né. Cela s’observe souvent dans les phénomènes sociaux, et l’on voit des faits être à tour de rôle cause et effet et, réagissant les uns sur les autres, augmenter constamment d’intensité.