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reviennent plus. Il est utile de comparer les chiffres de la statistique italienne avec ceux que nous fournissent les statistiques étrangères pour les ports d’arrivée des émigrans, et M. Bodio pense que le vrai chiffre doit être compris entre ces deux limites.

La crise économique dont souffre l’Italie est accusée fort nettement par l’augmentation considérable du nombre des émigrans.

La moyenne annuelle de l’émigration permanente est de 73,000 de 1884 à 1886; elle devient de 135,000 pour la période de 1887 à 1890[1]. Quant à l’émigration temporaire, on a respectivement 84,000 pour la moyenne annuelle de 1884 à 1886, et 100,000 de 1887 à 1890[2].

Le gouvernement met tout en œuvre pour empêcher les Italiens d’abandonner leur pays. Sous prétexte de les protéger, on a fait une loi qui édicté des peines sévères contre toute personne conseillant l’émigration sans avoir une patente du gouvernement. On ne laisse pas partir les émigrans jusqu’à ce qu’ils aient passé quarante ans, en alléguant qu’ils doivent encore le service militaire. Après que le Brésil eut proclamé la république, le gouvernement italien défendit pendant plusieurs mois d’émigrer dans ce pays ; on n’a jamais su au juste pour quelle raison. Les journaux officieux publient de temps en temps des descriptions navrantes de la misère qui, selon eux, attend les émigrans italiens à l’étranger. Rien n’y fait, ni les tracasseries de la police, ni les menaces, ni la persuasion. Le nombre des émigrans augmente toujours; on a vu des villages, en Vénétie, se dépeupler presque entièrement. Hommes, femmes, enfans, tout le monde part. Si on les empêche de s’embarquer à Gênes, ils s’échappent clandestinement, et s’embarquent à Marseille, à Bordeaux, ou dans d’autres ports. C’est qu’il n’est pas aussi facile à notre époque, avec les chemins de fer et les bateaux à vapeur, d’attacher le cultivateur à la glèbe, comme on pouvait le faire au moyen âge, et tous les obstacles que met le gouvernement à l’émigration n’ont d’autre effet que de nuire aux compagnies italiennes de transports maritimes. Quand on parle à ces malheureux émigrans de la misère qui peut-être les attend en Amérique, ils répondent : « Ici nous mourons de faim, que peut-il nous arriver de pire là-bas? »

C’est peut-être parce que les maux qu’endure l’Italie ne sont pas assez connus qu’il se trouve encore des hommes d’un esprit droit

  1. Ces mêmes chiffres, suivant les statistiques des ports d’arrivée des États-Unis du nord de l’Amérique et de la république Argentine, de l’Uruguay et du Brésil seraient de 86,000 pour la première période et de 176,000 pour la seconde.
  2. On trouve, pour cette émigration, 88,000 en 1887, 95,000 en 1888, 105,000 en 1889 et 113,000 en 1890.