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petits déficits et d’engagemens pour des dépenses qui grèveront inévitablement les budgets futurs, sans compter les subsides que l’État devra donner à la ville de Rome, et probablement aussi à la ville de Naples.

La comparaison du budget italien avec les budgets étrangers a souvent servi de texte aux hommes politiques pour soutenir l’opinion que l’Italie n’est pas trop chargée d’impôts, et que ses dépenses ne sont pas excessives. Pour cela on compare les recettes ou les dépenses par tête d’habitant, et quand on trouve des chiffres moindres pour l’Italie que pour d’autres pays, on en conclut que les Italiens sont moins grevés que d’autres peuples. M. Crispi a répété plusieurs fois dans ses discours qu’il était injuste d’accuser le gouvernement italien de trop dépenser pour les armemens, puisqu’il dépensait moins par tête d’habitant que la France et que d’autres pays. Il tient beaucoup, paraît-il, à cet argument, car il en fait un usage continuel, et il l’a répété encore dans l’article qu’il a publié dans une revue anglaise.

Or qui ne voit pas que les bases de ce raisonnement sont absolument erronées ? On vous dit : un tel dépense six mille francs par an de loyer, et l’on vous demande: agit-il sagement? Comment répondre si l’on ne sait pas le chiffre de son revenu? Si, par exemple, ce revenu est de huit mille francs, l’individu en question est un fou et un prodigue; c’est au contraire un avare, si son revenu est de cinq cent mille francs. Irez-vous comparer les recettes et les dépenses par tête d’habitant d’une pauvre commune perdue dans les montagnes avec celles de Paris ?

Il est donc évident que pour comparer les dépenses de deux pays, il faut avant tout tenir compte de leurs richesses respectives. Ces richesses sont difficiles à évaluer exactement, mais on peut avoir au moins une idée approchée de leur rapport[1]. On trouve

  1. Nous ne pouvons pas traiter ici par incidence une question aussi importante, et nous devons renvoyer à l’œuvre magistrale de M. Bodio, Di alcuni indici, ecc., où l’on trouvera analysés les travaux les plus récens sur ce sujet. M. de Foville a le premier calculé la richesse de la France en prenant pour base les transmissions de la propriété par suite d’héritage et de donation entre vifs. M. le professeur Pantaleoni a calculé de la même manière la richesse de l’Italie. Seulement M. de Foville a pris trente-cinq ans pour la vie moyenne, et M. Pantaleoni trente-six. Il faut donc augmenter le chiffre donné par M. de Foville d’un 35e pour le comparer à celui donné par M. Pantaleoni. De la sorte, ces chiffres deviennent entièrement comparables, et leur rapport sera même plus approché que ne le sont les chiffres absolus. Car si l’on suppose que la méthode employée produise une erreur de près d’un 10e sur chaque chiffre, cette erreur disparaît en prenant le rapport des deux chiffres. M. Bodio a refait les calculs de M. Pantaleoni, le chiffre ainsi trouvé pour l’Italie de 1880 à 1885 est de 54 milliards. Pour la France, M. de Foville donne le chiffre de 210 milliards, qui, augmenté d’un 35e devient 216. Et l’on voit que le rapport est bien à peu près de 1 à 4. — M. Giffen a calculé la richesse de l’Angleterre suivant une autre méthode. Prenant pour bases les résultats de l’income-taxe, il trouve 250 milliards. Ce chiffre n’est pas parfaitement comparable aux précédens, parce qu’on les a obtenus par une méthode différente. (Pour la France, voir A. de Foville, la France économique.)