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de voter contre M. Crispi, en défendaient encore la politique; mais au moins, une fois le ministère constitué, ils paraissaient animés des meilleures intentions. L’exposition financière faite alors par M. Luzzatti est digne des plus grands éloges, car pour la première fois depuis plusieurs années on entendait une parole honnête et franche dire du banc des ministres la vérité sur la situation financière de l’Italie. Et étant donnés le talent incontestable de cet homme d’Etat, et l’ampleur de ses connaissances économiques, on pouvait espérer qu’un meilleur avenir se préparait pour le pays. M. Nicotera promettait une administration libérale à l’intérieur, dans laquelle la loi aurait remplacé l’arbitraire et le bon plaisir que M. Crispi affectionnait ; M. di Rudini faisait entendre qu’on y regarderait à deux fois avant de renouveler la triple alliance[1].

Pourquoi faut-il que la suite n’ait pas répondu à cet heureux commencement? On avait promis un régime financier rigide et sévère; et des erreurs entièrement semblables à celles commises par le passé recommencent à poindre. M. Crispi avait aidé les entreprises de constructions qui périclitaient; M. Luzzatti aide les banques qui ne peuvent pas changer leurs billets, et en même temps il obtient des ressources pour le trésor en créant du papier-monnaie[2]. Pour favoriser des établissemens sidérurgiques amis, le gouvernement ferme les yeux sur de graves abus des douanes. On parle avec insistance d’une entente de l’Italie avec les États de l’Europe centrale, en vue d’établir une ligue douanière, qui serait dirigée contre la France ; comme s’il était de l’intérêt de l’Italie d’aller s’engager dans pareille aventure, où elle jouera le rôle du pot de terre voyageant

  1. Il ne manque pas de personnes impartiales en Italie, même en dehors de l’extrême gauche, qui reconnaissent que la France a mille fois raison d’être indignée de la garantie donnée par l’Italie à l’Allemagne pour la possession de l’Alsace-Lorraine, et que cette action de l’Italie n’a pas même pour excuse, si c’en est une, d’être utile au pays. — M. Jacini dit : « La France n’oublie pas qu’elle a versé tant de sang pour notre délivrance en 1859. Ne devait-elle pas frémir d’indignation en pensant que nous sommes entrés dans une alliance en nous engageant à verser notre sang pour empêcher sa délivrance quand viendra pour elle son 1859? » (Pensieri, etc., p. 108.) Il revient plusieurs fois sur cette idée, et dans une autre brochure il dit : « Les Alsaciens sont d’origine allemande, mais, pour la plupart, ils veulent redevenir Français. Encore plus les Lorrains qui sont d’origine française,.. nous nous sommes laissé entraîner à garantir à l’Allemagne... la possession de ces territoires contestés et tous les efforts militaires qui nous ruinent ont pour but de faire honneur à cet engagement. Que les journaux allemands chantent Hosanna, que le fonds des reptiles, avec ses affiliations même en Italie, s’évertue à exalter l’habileté de notre politique, cela se comprend. Nous rendons à l’Allemagne un service énorme, impayable. Qui ne le voit pas? Mais nous ne devons pas nous étonner si les Français en sont indignes. » (Le Forze conservative nella nuova Italia. Roma, 1891, p. 42.)
  2. Voir Proroga del corso forzoso, publié sur le Giornale degli economisti. Roma, juillet 1891.