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Page:Revue des Deux Mondes - 1891 - tome 107.djvu/946

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aventure africaine. On repoussait dédaigneusement ses observations. N’était-il pas absurde de croire que le gouvernement eût pu faire des dépenses qui auraient échappé au rigoureux contrôle de la comptabilité de l’État? Et pourtant c’était M. Cavallotti qui avait raison. Le marquis de Rudini a dû venir à la chambre demander des crédits et un bill d’indemnité pour ces dépenses faites par son prédécesseur. Et quand, pour d’autres dépenses, on lui demanda s’il était bien sûr du chiffre, il répondit qu’il le croyait vrai, mais n’en saurait jurer, étant devenu fort sceptique en ces matières.

A l’autre extrémité, nous trouvons le parti conservateur, qui pourrait exercer la plus heureuse influence sur la vie politique du pays s’il avait des idées plus claires et plus justes en économie politique, et un peu plus de vigueur. Mais en se faisant les partisans d’une protection douanière des plus exagérées, les conservateurs se sont mis sous la dépendance du gouvernement, qui pourra bien encore à l’avenir trouver parmi eux des frondeurs de sa politique, mais qui ne les aura jamais pour adversaires bien décidés. A cela contribue aussi le manque d’énergie qui caractérise ce parti[1], si nous en croyons un de ses hommes les plus éminens, M. le sénateur Jacini.

Enfin, entre les deux extrêmes se place la fédération Cavour, que le marquis Alfieri s’efforce de constituer sur des bases solides, et dont le nom seul suffit à indiquer les tendances libérales qu’elle devrait avoir. Mais ces tendances prendront-elles corps, et se traduiront-elles en faits? Certes ce parti compte parmi ses membres des gens d’un grand savoir et d’un caractère résolu, comme M. Bonfadini, mais le plus grand nombre paraît avoir les mêmes défauts que nous avons notés chez les conservateurs. Si ce parti avait appuyé résolument son chef, le marquis Alfieri, quand celui-ci souleva au moyen de la presse la question de la communication au parlement du traité qui lie l’Italie aux empires allemand et austro-hongrois, le ministère aurait dû céder, sous peine d’être mis en minorité. M. Bonghi, il est vrai, répéta cette demande à la chambre, mais sa voix n’eut pas d’écho, et le gros de son parti le laissa seul sur la brèche.

Le ministère Rudini a pris le pouvoir dans des circonstances assez singulières, il est vrai, car ses membres, deux heures avant

  1. « C’est le propre du caractère des conservateurs d’être peu énergique. Qu’on ne leur demande donc pas ce qu’ils ne se sentiraient pas la force de donner. Abandonnés à eux-mêmes, bien que les circonstances présentes les favorisent, ils ne réussiraient pas, du moins, j’en suis convaincu, à constituer un parti militant. » (Jacini, le Forze conservative nella nuova Italia, Roma, 1891, p. 52.)