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CHRONIQUE DE LA QUINZAINE.




14 octobre.

Voilà donc le dernier mot, mot funèbre, de la tragi-comédie du boulangisme! Voilà où aboutit la destinée d’un homme qui, un instant soulevé par un flot de popularité factice, a pu se croire appelé à régenter la France, et qui, laissé à lui-même, pliant sous son propre poids, est tombé de degré en degré jusqu’à la misère d’un suicide de troubadour désabusé! Un coup de pistolet un peu théâtral dans un cimetière de Bruxelles, au bord d’une tombe sans renommée, et tout est dit désormais de Boulanger et de sa fortune ! L’homme a fini tristement, médiocrement, en évadé vulgaire de la vie, déplorable victime de ses ambitions et de ses faiblesses; l’aventure politique dont il a été l’équivoque héros avait fini avant lui, — heureusement pour le pays, qu’il a failli abuser, et qui s’est réveillé à temps. Tout est donc fini, et de l’aventure comme de l’homme, ce qui reste c’est le souvenir d’une hallucination d’opinion, d’un égarement des partis, d’une popularité de hasard qui peut, certes, passer pour une des énigmes de l’histoire contemporaine, pour un des spécimens les plus bizarres de l’anarchie morale créée par les révolutions.

Assurément, ce qui s’est passé pendant deux ou trois ans en France, ce qui n’est plus, heureusement, qu’un souvenir à peine ravivé, pour un instant, par la mort du général Boulanger, reste un des phénomènes les plus extraordinaires. Comment cette aventure, qui aurait pu être redoutable, a-t-elle été possible? Comment s’explique cette forlune soudaine, foudroyante, suivie d’une si prompte décadence ? Par quel miracle d’inconséquence et de frivolité ou de naïveté populaire un homme inconnu la veille avait-il paru un moment surprendre les instincts d’une nation qui ne manque, après tout, ni de bon sens ni d’esprit? Est-ce donc qu’il se fût révélé, à l’improviste, par ses services,