Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1891 - tome 107.djvu/957

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

aux principales villes. On s’est remué, on se remue encore, on a fait des proclamations, on a adressé des messages au roi Humbert. Des députés ont menacé d’interpeller le ministère à la prochaine réunion des chambres, de lui demander compte de ce qu’il avait fait et de ce qu’il ferait. Et c’est ainsi que le plus vulgaire, le plus insignifiant des incidens est devenu un prétexte de manifestations, de protestations, d’interpellations, comme si l’Italie et Rome étaient en péril pour la facétie d’un jeune bachelier en vacances, pour un pèlerinage au Vatican. C’est fort bien, seulement ceux qui inspirent peut-être ces mouvemens désordonnés, ou qui se flattent de les exploiter, ne s’aperçoivent pas qu’ils donnent une singulière idée de la liberté qu’ils entendent laisser au pape, — qu’ils s’exposent à faire revivre eux-mêmes une question que personne ne soulève, qui dans tous les cas intéresse bien d’autres États que la France.

Ce qu’il y a de plus curieux, c’est qu’au moment même où se faisait à Rome et ailleurs tant de bruit pour rien, on célébrait par des fêtes et des discours à Nice l’inauguration d’un monument élevé à Garibaldi. Ce qu’a été réellement la campagne de Garibaldi à la tête de l’armée des Vosges dans notre funeste guerre, ce n’est pas pour le moment la question. Ce qu’on a voulu, ce qu’on a cru devoir honorer en lui, c’est l’homme, l’étranger qui seul entre tous en 1870 n’a pas craint de venir combattre pour la France, — celui que M. de Bismarck menaçait de faire fusiller si on le prenait. Et les hommages ne lui ont certes pas manqué. On ne s’est fait faute de célébrer le héros, de prodiguer en même temps les témoignages de sympathie à l’Italie représentée par le gendre de Garibaldi et par quelques députés. M. le ministre des finances Rouvier lui-même, délégué du gouvernement français, s’est mis en frais d’éloquence et n’a rien ménagé pour assurer devant l’univers que la République ne menace pas « Rome capitale, » qu’elle ne médite pas, comme le croit M. Crispi, la restauration du pouvoir temporel du pape. Cela, à ce qu’il paraît, ne compte pas. Les manifestans de Rome et des autres villes italiennes, les journaux de M. Crispi tiennent à leurs antipathies, à leurs défiances jalouses, à leurs habitudes batailleuses ; on ne les convaincra pas ! Que faire à cela ? La vérité est qu’il y a toujours deux politiques, deux tendances au-delà des Alpes. Il y a une classe d’esprits, — et les ministres d’aujourd’hui, il faut le croire, sont de ceux-là, — qui gardent une sympathie traditionnelle pour notre nation, qui ne croient pas que crier à bas la France, ce soit une grande victoire, qui restent persuadés qu’il y a entre les deux pays des liens d’esprit, de parti, de civilisation qu’on ne peut rompre ; il y a aussi ceux qui passent leur temps à semer les divisions entre les deux nations, à raviver à tout propos les ressentimens et les suspicions, à saisir toutes les occasions d’excitation pour