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Nassau dirigent mieux leurs coups. Les cavaliers, en ce moment, prennent l’offensive. Ils s’emparent de la grosse artillerie. Les Wallons sortent de leurs retranchemens, les double-soldiers s’approchent avec le comte Louis. Les piques s’enfoncent avec fureur dans les rangs ; on entend résonner les épées. Maint bon fusil fut en ce moment cassé sur la tête de l’Espagnol. Chacun s’efforçait de pousser en avant. Bientôt l’ordre des Espagnols est rompu ; leur courage commence à fléchir. Le combat n’a pas duré une demi-heure. Les fuyards vont le payer cher. Dans le marais, dans la forêt, une lieue à la ronde, on trouvera des Allemands et des Espagnols, morts pour la plupart. Dans le Dollaert[1], des tas d’hommes se sont noyés. Le cheval du comte d’Arenberg est tombé dans un fossé. En un instant, le comte a été percé de coups. Son lieutenant Groesbeck parvient à s’échapper. Plus de dix-huit cents hommes de l’armée espagnole ont péri ; le peuple de Nassau n’a pas perdu quarante hommes. Émerveillez-vous de l’œuvre de Dieu !

« Le comte Adolphe, malheureusement, est au nombre des morts. Le chancelier du comte Louis est aussi tombé sur le champ de bataille. Les blessés sont nombreux ; leur vie, généralement, n’est pas en danger. Que Dieu leur soit en aide !

« Deux cent trente Allemands sont restés prisonniers. D’Arenberg avait fait demander aux moines beaucoup de chariots. On avait rempli ces voitures de poudre, de boulets, de pain et de vin. Chariots et chevaux sont restés aux mains des soldats de Nassau. Et l’artillerie amenée de Groningue, ces six pièces que les Espagnols appelaient leur orchestre, — ut, ré, mi, fa, sol, la, — que sont-elles devenues ? Elles suivent maintenant le comte Louis. Le Seigneur a permis que les ennemis de sa parole, les oppresseurs des âmes pieuses, fussent étouffés en peu de temps.

« N’attribuez pas ce succès aux hommes. Ce serait un pur mensonge. A Dieu seul en revient l’honneur. Si Dieu nous a fait longtemps attendre, ne vous en prenez qu’à nos péchés. L’heure n’était pas venue : Dieu peut bien plus encore. »

La guerre de 80 ans est commencée. Retenons la date du combat d’Heiligerlee[2] : tous les Hollandais la connaissent. La journée du 23 mai 1568 a son importance dans l’histoire de l’humanité.

  1. Le Dollaert est un golfe creusé par les inondations de 1277 et de 1287, à quelques lieues en deçà de l’embouchure de l’Ems.
  2. Heiligerlee ! ne cherchez pas ce nom dans Bouillet, vous ne l’y trouveriez pas ; mais vous le découvrirez sur la carte de MM. Vivien de Saint-Martin et Fr. Schrader, à quelques kilomètres à l’ouest de Winschoten. Les Français ont eu longtemps la réputation de rester insensibles aux charmes de la géographie. Le reproche aujourd’hui serait mal fondé. La géographie est maintenant en France une science à la mode. L’histoire de la Révolution des Pays-Bas gagnera beaucoup à être lue avec une carte sous les yeux ; car le territoire des Pays-Bas est encore, si je ne me trompe, un de ceux qui nous (sont le moins bien connus. On prête aisément ses goûts aux autres. Pour moi, je l’avouerai, la découverte d’un nom longtemps cherché sur la carte est une sensation remplie de la plus joyeuse et de la plus intime volupté. Le texte s’en illumine à l’instant d’une clarté subite.