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sa fidélité l’eût, aussi bien que Germanicus[1], défendu de ce périlleux honneur. On ne trouve son nom dans aucune tentative de révolte ouverte. Les instances de Guillaume ne parvinrent jamais sur ce point à l’ébranler. Il resta loyal ; il resta de plus sincèrement catholique. La foi du comte de Horn était depuis longtemps quelque peu ambiguë ; celle d’Egmont sut, au contraire, demeurer jusqu’au bout à l’épreuve de toutes les hérésies. De naissance, d’instinct, de tempérament, Egmont appartenait au catholicisme. Son âme de soldat et de grand seigneur s’épanchait facilement au dehors. Les cérémonies du culte la remplissaient de ce charme intime qui est, chez les nations latines et celtiques, une des plus grandes forces de l’église romaine. La nature l’avait créé pour vivre au milieu des fumées de l’encens, pour élever son cœur jusqu’au Très-Haut sous la voûte des cathédrales. Il repoussait comme outrageante pour la noblesse flamande la suprématie politique des Espagnols ; il n’eut pas un instant la pensée de se séparer de leur Dieu.

Quand il était encore permis de croire à l’efficacité des requêtes, ce fut Egmont que les seigneurs, impatiens du joug de Granvelle, choisirent pour aller exposer au roi leurs doléances. Enivré des honneurs dont Philippe l’entoure, Egmont revient à Bruxelles sans avoir rien obtenu. Il a positivement oublié en route le but de sa mission. Philippe lui déclare « qu’il aimerait mieux perdre mille fois la vie que de céder sur l’article de la religion. » Le vainqueur de Gravelines trouve la déclaration toute naturelle. Il ne s’en étonne ni ne s’en émeut. Et pourtant c’était bien la cause de la liberté de conscience qu’on l’envoyait plaider ! Est-ce au moins un sujet soumis qu’a retrouvé Philippe ? La soumission ne survivra pas à l’influence exercée par la présence du monarque. Egmont est retombé promptement dans ses anciennes turbulences, dans ses provocations incorrigibles. Ce chrétien, ce dévot, s’oubliera même un jour jusqu’à tirer l’épée en plein conseil contre le cardinal, contre un prince de l’église ! Le cardinal parti, Egmont ne sera pas encore satisfait. On le verra mettre son agitation, — cette agitation si facile à exploiter, — au service d’un autre grief. Il y a toujours des griefs pour les esprits naturellement factieux.

Né en 1522, le comte Lamoral d’Egmont commandait à l’âge de trente-cinq ans la cavalerie du roi. Descendant direct des anciens rois frisons, comptant au nombre de ses ancêtres des ducs qui avaient osé, au XVe siècle, disputer successivement à la maison de Bourgogne et à la maison d’Autriche le pouvoir, l’ami du comte

  1. On sait avec quelle honnête énergie le fils de Drusus, le neveu de Tibère, repoussa, en l’année 14 de notre ère, après la mort d’Auguste, les acclamations séditieuses des légions de Germanie qui voulaient le proclamer empereur.