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de Horn, l’ennemi du cardinal Granvelle, était le représentant né de la haute noblesse néerlandaise. Son père avait épousé Françoise de Luxembourg, princesse de Gâvre ; son mariage avec Sabine de Bavière le faisait en 1545 le beau-frère de l’électeur Palatin ; la bienveillance marquée de l’empereur Charles-Quint lui assurait un siège dans le chapitre des chevaliers de la Toison d’or.

Investis des grands privilèges attachés à l’ordre que fonda, en 1429, Philippe le Bon « à la gloire de Dieu, de la sainte Vierge et de saint André, patron de la maison de Bourgogne, » Horn et Egmont se réclamèrent en vain de cette juridiction exceptionnelle. Ils furent jugés et condamnés comme des rebelles vulgaires. Tous les factieux étaient égaux devant Philippe II et devant le duc d’Albe.

Dans le supplice des deux comtes vous remarquerez cependant une dernière concession au rang élevé d’où la fortune ennemie les faisait descendre. Un évêque fut chargé de les assister à leurs derniers momens. Au XVIe siècle, on ne conduisait pas encore à l’échafaud les gentilshommes et les reines en charrette. La mort d’Egmont surtout eut à la fois quelque chose de touchant et de théâtral. Depuis le 1er juin, le sang coulait sur la place du Marché à Bruxelles. Dix-huit gentilshommes étaient déjà tombés sous la hache du bourreau. Le 5 juin, les comtes d’Egmont et de Horn payèrent à leur tour la dette fatale que tant d’autres après eux devaient acquitter. Sur une estrade recouverte de drap noir, deux carreaux de velours étaient posés. Une épaisse draperie se déployait en arrière et dissimulait la présence du bourreau. Libre de ses mouvemens, Egmont le premier traverse d’un pas ferme la place au centre de laquelle est dressé l’échafaud. Il gravit les degrés, jette de côté son chapeau orné de plumes blanches, sa robe de damas rouge, son manteau bordé de galons d’or, son collier de chevalier de la Toison, baise le crucifix que lui tend l’évêque d’Ypres, puis, un bonnet de Milan abaissé sur les yeux, la prière aux lèvres, il s’agenouille. Au moment où il prononçait ces dernières paroles : « Seigneur, je remets mon esprit entre tes mains, » l’exécuteur apparut soudain et d’un seul coup lui abattit la tête.

Le comte de Horn ne baisa pas en s’agenouillant le crucifix ; il ne repoussa pas toutefois les secours religieux que lui offrait l’évêque. Il mourut sans faste, sans faiblesse, en homme dégoûté des honneurs et de l’existence, maussadement, s’il est permis de s’exprimer ainsi, a vêtu d’un habit noir très simple et d’un manteau de même couleur. »

L’émotion dans Bruxelles fut immense ; c’était surtout le comte d’Egmont que le Brabant pleurait. Le deuil pour les calvinistes