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prospérité de nos possessions dans le nord de l’Afrique, l’avenir de notre puissance dans la Méditerranée, des traditions bientôt séculaires nous font d’ailleurs un devoir de ne pas y être indifférens et de nous rendre soigneusement compte des circonstances qui ont mis la France en Égypte dans un état d’infériorité qui peut avoir de graves conséquences. Pour bien considérer les choses, il importe toutefois de rappeler rapidement comment l’Égypte a surgi de l’obscurité où l’avaient plongée, au siècle dernier, des chefs dégénérés, pour devenir, de notre temps, un sujet de trouble et de dissentiment.


I

Depuis le déclin de sa grandeur, la Turquie n’a plus exercé en Égypte qu’une autorité nominale. Après des fortunes diverses et deux dynasties qui ont fourni des califes restés illustres, les mamelucks, d’origine asiatique et se recrutant au Caucase, vainqueurs des Arabes, vaincus par le sultan Sélim Ier, et survivant à leurs défaites, s’étaient constitués en une sorte d’oligarchie, qui leur avait permis de redevenir les véritables dominateurs du pays quand le général Bonaparte débarqua à Alexandrie. On sait les pertes qu’ils subirent dans toutes les rencontres avec l’armée française. Après l’évacuation de nos troupes, le gouvernement de Constantinople tenta d’y relever sa puissance pendant que, de leur côté, les mamelucks, quoique décimés par leurs récens revers, s’efforçaient de ressaisir la position perdue. Leurs efforts, comme ceux de la Porte, se brisèrent en se heurtant à l’énergie et à l’ambition d’un homme obscur, prédestiné cependant à fonder une dynastie nouvelle sur les bords du Nil, à soulever encore une fois la question d’Égypte.

Cet homme était né à Cavalla, dans les environs de Salonique. Il fut, à ses débuts, un arnaout, un soldat irrégulier au service du sultan. Il fit partie d’un corps de troupes envoyé en Égypte pour en disputer, de concert avec des forces anglaises, la possession à la France. Esprit fin et délié, caractère taciturne et audacieux, Méhémet-Ali conquit rapidement, parmi ses frères d’armes et sur l’esprit de ses chefs, une influence qui l’aida à sortir des rangs et à prendre une part active au gouvernement du pays. Absolument illettré, dépourvu de toute instruction, il avait l’instinct des grandes choses ; on le voyait encore, même dans les dernières années de sa vie, à son regard pétillant et investigateur. Il avait combattu à Aboukir, et les exploits de l’homme prodigieux venu d’Occident l’avaient profondément pénétré. Il se plaisait à rappeler que, lui aussi, était venu au monde en l’année célèbre, en 1769, et ne