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aurait lieu, laisserait une place toute prête pour les garanties algériennes. La vérité est qu’il était plus facile au ministre de trouver vingt-trois millions que trente-quatre : encore n’avait-il à sa disposition que la moitié de la première somme, et, pour atteindre au chiffre nécessaire, il était contraint de faire état des onze millions que devait produire la liquidation définitive de la caisse de dotation de l’armée. Du reste, le ministre ne dissimulait pas son regret de s’arrêter à mi-chemin. La commission du budget a voulu se montrer plus logique que le ministre et, tout en écartant comme n’étant pas de nature budgétaire le produit attendu de la liquidation de la dotation de l’armée, elle s’est faite forte de trouver par des économies les millions nécessaires pour faire rentrer au budget la totalité des garanties.

Le second trait distinctif du budget de M. Rouvier, et celui sur lequel il insiste avec plus de complaisance, est la réduction de l’impôt sur les transports à grande vitesse. Cette mesure s’imposait au gouvernement, et si celui-ci avait été mieux éclairé sur les besoins et les intérêts du pays, il l’eût accomplie préférablement à tant de dégrèvemens intempestifs et mal calculés qui, de l’aveu de M. Cavaignac, « ne sont pas parvenus à ceux à qui le parlement les destinait » et n’ont profité qu’à des intermédiaires. On ne se rendait pas un compte suffisant de l’obstacle que la cherté des voyages apportait à l’extension des relations commerciales, du nombre d’industries secondaires à qui l’accroissement des voyageurs profiterait, ni des satisfactions légitimes et utiles dont les familles à ressources modestes étaient privées. Le chemin de fer étant un mode de locomotion plus facile, plus rapide et moins coûteux que l’ancienne diligence, il semblait que cela dût suffire, et que l’aggravation de l’impôt votée en 1871 ne fût qu’une surtaxe sur une dépense d’agrément ou de commodité. Cependant, les essais faits en Belgique et en Hongrie, l’expérience que les compagnies avaient tentée par l’établissement des trains à prix très réduit, dits trains de plaisir, et l’affluence considérable de voyageurs que les réductions de prix avaient déterminée partout, auraient dû éclairer le gouvernement sur l’effet compressif des tarifs élevés. Inquiet, pendant quelques semaines, sur le succès de l’Exposition de 1889, le ministère sollicita des compagnies de chemins de fer l’organisation de trains à des prix qui auraient semblé, il y a quelques années encore, d’un bon marché fabuleux : on sait quel mouvement énorme de voyageurs fut la conséquence immédiate des réductions de prix et des facilités accordées au public. Cette fois, l’expérience était trop décisive pour que le fisc pût continuer à prélever 23 pour 100 du prix des places en chemin