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pour les diverses phases de la procédure un déboursé préalable de sommes fort élevées. Il y a au fond de ce système une idée fausse. Il ne s’agit point ici d’un impôt de répartition à répartir entre tous les citoyens au prorata des ressources de chacun. Les procès sont indépendans les uns des autres, et le timbre et l’enregistrement s’appliquent à toutes les pièces de procédure indistinctement et d’après les mêmes bases, sans tenir compte de l’intérêt que chaque plaideur peut avoir à ester en justice. De quel droit frapper un plaideur d’un impôt spécial, d’autant plus lourd qu’il a plus besoin de la protection de la justice ? On peut-être un pauvre diable et avoir à revendiquer ou à défendre des droits très importans. Déjà le chiffre élevé de la dépense à encourir arrête et même fait reculer bien des gens : on cherche un arrangement, on transige, on sacrifie une partie de son droit pour n’avoir pas à faire intervenir les tribunaux, et trop souvent des personnes riches et de mauvaise foi abusent de la situation d’adversaires peu fortunés pour leur imposer une transaction. Que sera-ce avec la législation que l’on propose : avoir 80 francs de procédure pour un litige de 100 francs est, sans aucun doute, excessif et tout à fait déraisonnable, mais personne n’en est ruiné. Si la nouvelle taxe, par les déboursés préalables qu’elle exige, me met dans l’impossibilité de défendre mes droits, elle équivaut à un déni de justice.

Le monde du palais s’est vivement ému du bouleversement qui serait apporté dans la procédure civile, et les hommes spéciaux, à l’aide d’exemples et de chiffres, ont fait ressortir les inégalités choquantes et les contradictions que recèle la proposition de M. Brisson, si légèrement adoptée par la commission du budget. Évidemment, des changemens de cette importance ne peuvent être improvisés. La commission ne s’est préoccupée que d’un seul point : il n’y aurait, si les calculs de M. Brisson sont justes, aucune diminution de la somme qui entrerait dans les caisses du trésor : partant, pas de modification à apporter dans le budget ; mais ce n’est pas la seule chose à considérer. La mesure proposée n’est pas un dégrèvement, puisqu’elle se borne à déplacer les charges actuelles de la procédure et à les faire passer d’une épaule sur une autre : encore faut-il que ce transfert ne blesse ni la raison ni l’équité. Elle n’apporte aucune ressource nouvelle au trésor, elle n’a donc aucun caractère d’urgence ; et aucun intérêt ne souffrirait si, en l’ajournant au prochain budget, on donnait au garde des sceaux le temps de consulter les cours de justice et de recevoir leurs observations désintéressées.

Les mêmes objections s’appliquent avec encore plus de force au remaniement de l’impôt sur les boissons que la commission