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Page:Revue des Deux Mondes - 1891 - tome 108.djvu/175

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méthode des mathématiques aux problèmes de la sociologie. » Mais à l’en croire, la Révolution n’est pas le triomphe de l’esprit gréco-latin, elle est un produit presque direct de la Réforme. Sous des formes différentes, Diderot et Rousseau représentent la première protestation de l’individualisme contre l’esprit de généralisation et le dogmatisme d’État. Si Voltaire a refusé de les comprendre, c’est « qu’avant d’être le père du XVIIIe siècle, il était le fils du XVIIe. » Dans le Contrat social qui est l’évangile de la Révolution, pas une idée qui n’ait été dans Hobbes, ou dans Locke, ou dans Althusen. Dans le Vicaire savoyard, qui inspire tour à tour Robespierre et Chateaubriand, pas un sentiment que Rousseau n’ait respiré dans l’air de Genève. En sorte que la Révolution ne serait pas classique, mais protestante. Puis, par un de ces retours qui lui sont familiers, M. Morley fait bon marché de ces vastes théories, toujours fausses en quelque endroit, et revient à l’explication la plus simple, qui fut celle de Tocqueville, celle de tout le monde : la Révolution est née des besoins ambians et des défauts de l’ancienne société, elle est sortie des faits encore plus que des livres.

Les hommes les plus intéressans après nos maîtres, ce sont les ennemis de nos maîtres. Car ils se sont occupés, eux aussi, pour les combattre, des idées que nous servons. Telle est la pensée qui sert de préface et, en quelque sorte, d’apologie à l’étude que M. Morley a consacrée à la contre-révolution dans la personne et dans les écrits du comte de Maistre.

Qui dira les similitudes inexplicables, les affinités secrètes qui rapprochent de tels adversaires ? Pourquoi de Maistre le théocrate inspire-t-il à Morley le positiviste des égards presque tendres ? J’en vois plusieurs raisons. D’abord, l’homme et la destinée l’attirent. Cette vie ballottée, les misères de Venise, les mesquineries administratives de Cagliari, l’affreux isolement de Pétersbourg, ce grand talent inutile, ce grand caractère s’usant contre de petites choses, tout cela l’émeut de pitié. Dans des pages que je n’espérais pas de lui, il paraît comprendre, lui, l’homme fort et calme, ces batailles nocturnes que les nerveux et les sensitifs livrent aux fantômes de l’insomnie : heures atroces auprès desquelles la vie ordinaire, si dégoûtante qu’elle soit, semble un paradis. Il met de la délicatesse à faire ressortir les côtés doux et aimans de cet homme qu’on accuse communément de dureté. Cette dureté même le charme, et il se baigne, avec un amer plaisir, dans le pessimisme de Joseph de Maistre.

Certes, il est loin d’être converti. Lorsqu’on lui explique le mal physique comme la rançon et le châtiment du mal moral, d’après une doctrine renouvelée des théologiens du moyen âge, il raille ce