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matériel nous sera-t-il laissé pour prendre l’offensive militaire ? Si l’offensive nous échappe, sur quel point serons-nous attaqués ? Évidemment, chacun de ces problèmes qu’il est permis d’examiner dès aujourd’hui, implique, entre autres, une série d’études de terrains que l’état-major général a le devoir de préparer, tant au point de vue de la concentration que de la mobilisation des forces et du choc probable des armées. Cependant ces études ne peuvent être qu’approximatives. On raconte, sans doute, que six semaines avant la bataille de Marengo qui commença par être une défaite, le premier consul montra sur la carte les plaines d’Alexandrie, et dit : « C’est là que je les battrai. » Mais le propos vaut toutes les autres grandes paroles historiques, et, fût-il vrai, la clairvoyance géniale de Bonaparte, en tout cas, n’est donnée à personne. A quelques études préalables que les états-majors se soient livrés, quelques connaissances exactes et précises qu’ils aient pu acquérir de la géographie et de la topographie militaires sur les deux versans de la frontière de l’Est, une part immense sera forcément laissée à l’inspection du terrain qu’il faudra faire au dernier moment, à la veille même de la bataille, selon les mouvemens de l’ennemi ou le simple hasard qui auront amené sur tel ou tel point la rencontre des armées. Or, rien de tel dans les manœuvres. Pour celles du mois de septembre, le plan d’ensemble en avait été arrêté au ministère de la guerre dès le mois de février ou de mars, et communiqué aussitôt aux états-majors spéciaux qui l’avaient mis à l’étude sans plus de retard, non point seulement dans leurs cabinets, mais sur le terrain même : « Une armée venant de Vitry est en marche sur Troyes ; elle doit, coûte que coûte, occuper Troyes et forcer en ce point le passage de la Seine. Prévenue qu’un groupe de deux corps d’armée, rassemblés vers Chaumont, va se porter sur son flanc gauche pour retarder sa marche, elle détache de Brienne un groupe d’égale force pour arrêter l’ennemi et le rejeter sur Chaumont ou, tout au moins, le ralentir et l’empêcher d’arriver à le prendre en flanc. Ce groupe, une fois sa mission remplie, doit rejoindre par Bar-sur-Aube et Vandœuvre le gros de l’armée devant Troyes pour participer à l’affaire générale, etc. » Mais les états-majors n’avaient pas été seulement avisés six mois d’avance de cette hypothèse d’ensemble qu’ils avaient eu ainsi tout loisir d’étudier avec réflexion et sang-froid : en même temps que l’hypothèse, l’emplacement des futures batailles leur avait été déjà désigné. On eût pu leur laisser chercher, « deviner, » la position en face de Colombey qui couvre les passages de l’Aube entre Bar et Dolancourt, ou la ligne de Vandœuvre-Beurey qui est la clé de la route de Troyes : le développement même de l’hypothèse