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diplomatique qui a si profondément troublé les relations de la France et de l’Angleterre, il nous paraît superflu de nous arrêter sur les faits de guerre qui en furent la conséquence. Disons cependant que l’événement trompa toutes nos prévisions en justifiant amplement les calculs du gouvernement anglais. Mise aux prises avec les difficultés d’une insurrection qu’on avait eu soin de fomenter de longue main et qui gagna rapidement tout le Liban, vigoureusement attaquée par les forces combinées des alliés, l’armée égyptienne, après une vaine défense, dut battre en retraite et se réfugier sous le canon de Saint-Jean-d’Acre.

Quand un douloureux mécompte nous surprend dans nos illusions, nous le reprochons à notre diplomatie et nous en faisons peser sur elle toute la responsabilité. Aucun de nos agens ne pouvait ignorer cependant que les exigences d’une lutte prolongée avaient excédé les ressources de Méhémet-Ali, qu’il avait dû imposer aux populations de l’Égypte et de la Syrie, soit en hommes, soit en argent, des sacrifices qui entretenaient un sourd mécontentement ; qu’en dépit de ses efforts, tous les services étaient en souffrance, la solde des troupes arriérée, l’armement imparfait, l’équipement insuffisant. Il pouvait menacer la Turquie, plus mal préparée que lui à continuer la guerre, mais l’intervention de l’Europe devait porter à son prestige un coup sensible et ébranler la confiance de son armée. Cette situation n’était un mystère pour personne et avait été signalée à l’attention du gouvernement français. Le gouvernement anglais en était également instruit, et nous avons vu lord Palmerston s’en prévaloir avec M. Guizot en affirmant que les alliés n’auraient que de faibles efforts à faire pour renverser la puissance du pacha, jugée aussi précaire en Égypte qu’en Syrie. En France, on s’était passionnément épris de l’œuvre de Méhémet-Ali, œuvre éminemment civilisatrice, pensait-on, que nous avions contribué à édifier, dont la gloire devait rejaillir sur nous, dont le succès devait profiter à nos intérêts en Orient et dans la Méditerranée. Avec cette ardeur généreuse et souvent inconsidérée qui nous subjugue et nous entraîne quand le succès d’une cause nous paraît utile au progrès du monde civilisé, on prit vivement la défense de l’Égypte. Nul n’admettait que la France ne dût soutenir et défendre le pacha. Dans la presse, dans les chambres, cette opinion prévalut avec une unanimité qui s’imposait au gouvernement, bien avant l’ouverture de la crise finale ; on avait applaudi à la victoire de Nezib, à la défection du capitan-pacha qui avait livré au vassal la flotte du suzerain, deux événemens qui avaient raffermi les illusions dont on se repaissait à Paris. Quand on apprit que l’Angleterre, notre alliée, se rapprochait de la Russie dans la pensée d’assister le sultan contre Méhémet-Ali,