Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1891 - tome 108.djvu/302

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

elles vivent aussi des ressources du pays : tout est suspendu, jusqu’à la vie même de la région occupée, pour être consacré à l’armée. Comment procéder de même en temps de paix sans doubler le prix des indemnités, sans doubler ou tripler le chiffre des crédits pour les vivres ? Même dans les régions qui seraient le plus largement dédommagées, que de récriminations et que de plaintes !

Eh bien ! oui, évidemment, la dépense générale eût été plus forte. Mais, d’abord, qui peut dire que les chambres l’eussent trouvée excessive, ces chambres qui n’ont jamais refusé à la défense nationale les plus lourds sacrifices, et que les souvenirs de l’intendance de 1870 n’ont pas cessé de hanter comme un cauchemar ? Et puis, quelque lourde qu’eût été la dépense, l’expérience est-elle oui ou non nécessaire ? N’est-il pas incontestable que la confiance ne reviendra pas à l’intendance tant que l’expérience n’aura pas été faite ? Vous avez économisé deux ou trois cent mille francs, soit. Mais qui peut garantir que cette économie n’en coûtera pas, plus tard, beaucoup plus ?

Cela dit, j’ai hâte d’ajouter qu’il serait profondément injuste de tirer argument de l’ajournement de l’expérience contre l’intendance elle-même. Ce n’est point elle, d’abord, qui a demandé à opérer dans les conditions anormales où elle a fonctionné. Il est certain, surtout, qu’elle s’est fort bien tirée d’une situation qui était illogique au premier chef, mais qui n’en était peut-être que plus difficile. Pendant toute la durée des manœuvres, l’intendance, en effet, ne s’est pas trouvée une seule fois en défaut : elle a procédé avec ordre et méthode, sans à-coup ; elle n’est pas arrivée une fois en retard ; elle avait pour consigne de ne pas troubler la vie habituelle des populations : elle ne l’a point troublée.

L’organisation des fours roulans de boulangerie, travaillant nuit et jour, a été particulièrement remarquable ; le pain n’a jamais manqué d’une heure, et la distribution en a toujours été abondante. Les agences télégraphiques ont bien raconté, certain jour, que les boulangeries de Bar-sur-Aube avaient été pillées par la troupe affamée ; mais les reporters, ce jour-là, avaient mal vu. Le 6 septembre était tout simplement la journée désignée par le commandement pour la consommation des « vivres du sac » (biscuit et viande de conserve), et si le soldat a, non point pillé, mais vidé en un clin d’œil, — et contre argent comptant, — les boulangeries de Bar-sur-Aube, c’est qu’il préfère, en général, le pain blanc au biscuit, tout nutritif que soit ce dernier. « Les boulangeries, écrivait un témoin oculaire[1], ne se sont donc plaintes que d’avoir

  1. M. Malo, rédacteur au Journal des Débats.