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dans les conditions où elle avait été concertée, ne conduirait à aucun résultat satisfaisant, et pendant que sir E. Malet avec M. Sienkiewicz sommait, en quelque sorte, le khédive de se séparer de son ministère en châtiant ses principaux membres, lord Granville proposait, soudain, à M. de Freycinet de demander aux autres puissances de se joindre à la France et à l’Angleterre « pour inviter la Porte à tenir prêtes des troupes qui se rendraient en Égypte sous des conditions déterminées[1]. » Et il pressait le cabinet français de se rallier à cet avis : « Tout retard, disait-il le lendemain à notre ambassadeur, encouragera l’opposition en Égypte, attendu qu’on y est convaincu que ni la France ni l’Angleterre n’auront recours à la force. »

De toutes les ouvertures qui pouvaient lui être laites, celle-ci répugnait particulièrement à notre ministre des affaires étrangères ; — elle se conciliait parfaitement avec la politique de l’Angleterre, elle était en contradiction flagrante avec la politique traditionnelle de la France, qui n’avait jamais reculé devant aucun effort pour éloigner le pavillon de la Turquie des côtes d’Afrique, en Égypte comme en Tunisie : — « Cette décision, répondit-il à M. Tissot, si inattendue, qui surprendrait l’opinion publique, peu préparée à une semblable solution, ne pourrait être prise qu’après de mûres réflexions et avec l’assentiment du conseil des ministres que l’état de ma santé ne me permet pas de convoquer pour demain. » Il devenait urgent d’aviser, cependant ; la situation, en Égypte, on l’a vu, l’exigeait impérieusement. Averti des nouvelles intentions de son gouvernement, sir E. Malet avait déclaré, le 26, « qu’il ne se considérait plus comme lié » par la note, que, de concert avec M. Sienkiewicz, il avait remise la veille au khédive ; il opérait ainsi sa retraite en se dérobant au moment décisif, et il se séparait de son collègue. Mis de la sorte en demeure de prendre un parti, M. de Freycinet fit au cabinet de Londres une contre-proposition : à la solution offerte par lord Granville, il substitua la réunion d’une conférence européenne. L’Angleterre y donna, sans retard, son assentiment, et, le 2 juin, les deux gouvernemens en saisirent simultanément la Porte et toutes les grandes puissances. La France et l’Angleterre agissaient de concert, mais si cordiales que fussent encore leurs dispositions respectives, l’entente, — cette union de deux gouvernemens entretenue à l’aide de concessions mutuelles, — si gravement compromise à la chute du ministère Gambetta, loin de se reconstituer, subissait, en cette occasion, une brèche nouvelle. Avons-nous besoin de dire que l’on fit un accueil empressé dans toutes les capitales, à la démarche des

  1. Dépêche de M. Tissot, ambassadeur à Londres, du 24 mai.