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communiquée à M. Duclerc, ne dissimula plus les véritables intentions du cabinet anglais. « Le gouvernement de Sa Majesté pensait, disait-il, que les événemens récens avaient démontré que le système en question n’était pas exempt de défauts et de dangers sérieux. » Et, sans indiquer autrement ces défauts et ces dangers, il ajoutait : « Le meilleur système à substituer au contrôle serait la nomination, par le khédive, d’un unique conseiller financier. » Le principal secrétaire d’État n’avait pas caché à notre ambassadeur que ce conseiller devrait être Anglais. Cette nouvelle combinaison n’avait pas dû lui coûter de grands efforts, et elle avait assurément le mérite d’être dépouillée de tout artifice. M. Tissot l’avait fait remarquer à son interlocuteur : « Lord Granville m’ayant laissé entendre, écrivait-il, que c’était tout, je lui ai fait observer que ce tout était certainement quelque chose pour l’Angleterre, mais rien pour nous. » M. Duclerc n’eut aucune peine à le démontrer à lord Lyons. « D’après vos propres déclarations, lui dit-il, le contrôle a bien fonctionné pour la prospérité matérielle de l’Egypte… Cependant vous proposez de l’abolir ; mais le voulez-vous réellement ? Nullement. Vous dites : Comme remplacement du contrôle, le khédive nommerait un seul conseiller européen. — Européen, c’est-à-dire Anglais, n’est-ce pas ? Eh bien ! pour appeler les choses par leur nom, ce que vous proposez, ce n’est pas l’abolition du contrôle, c’est l’abolition du contrôleur français. Je ne vous surprendrai pas en vous disant que je ne puis pas accepter cela[1]. »

On voit le terrain sur lequel les deux cabinets se trouvaient respectivement placés. Résolus à s’y maintenir l’un et l’autre, tout rapprochement, toute solution également acceptable à Paris et à Londres était désormais impossible. Le ministère anglais ne voulait pas en effet, comme le mandait M. Tissot après un nouvel entretien avec lord Granville, nous admettre « au partage des bénéfices d’une expédition coûteuse dont nous n’avions pas jugé à propos de partager les dangers et les charges ; » — le ministère français, de son côté, ne pouvait renoncer bénévolement, et sans compensation d’aucune sorte, aux avantages qui lui étaient garantis par un arrangement qui engageait également les trois parties intervenantes. On continua ainsi à échanger des communications qui ne pouvaient avoir qu’un résultat : celui de raffermir les deux cabinets dans leurs prétentions respectives et de démontrer clairement qu’on ne parviendrait pas à s’entendre.

Devant la résistance de la France, le cabinet anglais, pour mieux étayer la position qu’il avait prise, appela à son secours ou plutôt fit intervenir le gouvernement égyptien. Le 7 novembre, le ministre

  1. M Duclerc à M. Tissot, 28 octobre 1882.