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nager le repos de l’Europe, à désavouer toute idée de guerre ou de prépotence arrogante que depuis le jour où des incidens imprévus, des manifestations significatives ont donné une sorte d’authenticité éclatante et de sanction à ce qu’on peut appeler désormais l’entente franco-russe. Il est visible que ce rapprochement de la Russie et de la France, en opposant une alliance à une alliance, en changeant la face diplomatique de l’Europe, en créant ce « groupement » nouveau dont M. di Rudini parlait ces jours derniers encore, a eu une influence calmante sur les esprits, sur toutes les attitudes. Il a été d’autant plus significatif qu’il s’est accompli dans des conditions singulièrement nouvelles, entre un empire qui a passé longtemps pour le plus absolu des empires et la république devenue le régime de la France. Il a été manifestement déterminé par toute une situation. — On va plus loin aujourd’hui : on veut prouver que ce rapprochement est pour ainsi dire une loi de l’histoire, comme la suite d’une tradition parfois interrompue, toujours renouée, et on vient de publier un livre curieux, — une Ambassade en Russie, 1856, — qui remet au jour un épisode de diplomatie secrète, les négociations de M. de Morny, pour sceller l’amitié des deux empires au lendemain de la guerre de Crimée. L’épisode est certes intéressant et piquant. Oui, sans doute, les deux puissances se sont rencontrées plus d’une fois dans des essais d’alliance intime. La tentative a été faite une première fois dans ces négociations de Tilsit, dont M. Vandal a dévoilé les mystères. Elle a été renouvelée sous la Restauration, et elle était peut-être près de réussir à la veille de la révolution de 1830. M. de Morny, l’ambassadeur de famille de Napoléon III, en reprenant cette tradition en 1856, se montrait assurément un négociateur hardi et fin, passionnément désireux de réussir. Il était plus qu’un diplomate, il avait tout pour plaire, la grâce mondaine, la souplesse de l’esprit, la vivacité entreprenante, le secret du souverain, — on le croyait du moins. Malheureusement, il avait affaire à un maître qui a passé son règne à ne pas savoir ce qu’il voulait, à défaire chaque jour ce qu’il avait fait la veille, à aller d’une alliance à l’autre pour finir par voir l’Europe entière assister, sceptique et indifférente, au duel où il allait périr en laissant la France amoindrie. Le rapprochement qui s’accomplit aujourd’hui, après d’autres tentatives, moins heureuses, peut tenir sans doute à une certaine affinité persistante entre les deux pays ; il naît surtout des circonstances, du sentiment d’un intérêt commun de défense dans un état nouveau de l’Europe. Il s’est manifesté avec assez d’éclat pour avoir désormais sa signification et son poids dans la politique universelle. Le danger serait de se payer d’illusions démesurées et encore plus de se laisser aller à des démonstrations assez puériles. Assurément, lorsqu’après Cronstadt, les navires russes viennent dans nos ports, il est tout simple qu’ils soient reçus comme nos marins ont été reçus. Les marins russes ont eu tout récem-