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I. — AFRIKANDERS ET AFRIKANDÉRISME.

Pour notre curiosité mise en éveil par des événemens de fraîche date, l’Afrique du Sud a tout l’attrait d’un échiquier neuf où s’exercent des diplomaties européennes ; mais il nous faudrait un peu plus de lumière sur la partie qui se joue dans ces lointaines régions. Les grosses pièces en présence, l’Angleterre et l’Allemagne, nous les connaissons bien. Cela ne suffit pas encore, car ce ne sont point les rois qui combattent aux échecs, ni qui bougent le plus, excepté quand il ne reste guère qu’eux de vivans, ce sont les reines, les tours, les cavaliers, les fous et les pions. Or ici les deux reines s’appelleraient colonie du Cap, république du Transvaal. Nous ne comprenons pas plus la marche de ces pièces africaines que si c’étaient des figures du jeu hindou, des éléphans. Il nous manque surtout un traité des habitudes particulières à l’une des deux, celle qui montre aujourd’hui le plus de hardiesse et d’entrain, la colonie du Cap. Sa tactique sort, en effet, des règles admises. Elle n’est pas inspirée, dirigée, contenue par l’unique souci d’assurer la victoire au roi dont cette reine porte la couleur, l’empire britannique. Le Cap fait de la politique pour son compte, comme le Transvaal ; faute d’être assez édifié là-dessus, on juge mal les coups.

Cette politique a un nom : afrikundérisme. Nous francisons le mot sans lui ôter son k, pour n’en pas trop altérer la physionomie exotique. D’où vient-il et que signifie-t-il ? C’est ce que nous devons expliquer.

A l’époque où le Cap dépendait de la Compagnie néerlandaise des Grandes-Indes, les Hollandais d’Europe avaient une manière fort simple de désigner ceux de l’Afrique du Sud : ils les appelaient des Africains, Afrikaners. Mais dans la colonie même apparut de bonne heure la forme irrégulière Afrikaander, avec deux a, dont le second indique qu’il faut séparer le premier de l’n suivant. Ce vocable paraît avoir été inventé par les anciens colons comme terme de condescendance et presque de mépris, servant à marquer l’intervalle qu’il y avait entre eux et les gens de couleur qui avaient adopté leur langage. Cela rappelle une sorte de diminutif injurieux, nigger, tiré par les Anglais de negro, nègre. Après la conquête britannique, nos Afrikaners devinrent, pour les nouveaux maîtres du pays, des Afrikanders, avec un seul a, ou, dans la prononciation anglo-saxonne, des Afrikenneders, ce qui ne les flattait nullement à cause de la nuance ; et, lorsqu’en 1875 partit le premier signal d’un réveil nationaliste au Cap, dans les cercles hollandais on eut soin d’éviter le barbarisme, qui passait alors pour