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avec les chefs de notre ministère ? Est-ce à dire qu’il y ait tant de mystères à découvrir ou à soupçonner, qu’il y ait eu des conventions secrètes, des traités nouveaux, des arrangemens précis, des combinaisons profondes ? C’est l’affaire des nouvellistes qui savent tout ou de M. Laur qui veut tout savoir, qui s’est montré déjà impatient d’interroger M. le ministre des affaires étrangères, assez disposé, paraît-il, à remplir le premier de ses devoirs, à garder le silence. Au fond, on n’a pas besoin d’aller chercher si loin, de se perdre dans les conjectures et d’en savoir plus que les gouvernemens ne veulent ou ne peuvent en dire. Il y a des momens où les protocoles et les traités ne sont qu’un détail presque secondaire. Par elle-même, la visite de M. de Giers a son importance, parce qu’elle est la suite et la confirmation de Cronstadt, la démonstration évidente d’un système d’entente entre deux puissances rapprochées par des intérêts communs ; elle est la continuation d’une politique, et cette politique a toute sa signification par les changemens qu’elle a déjà décidés dans les affaires de l’Europe, par la situation nouvelle qu’elle a créée. Cette situation était certainement connue lorsqu’il y a quelques semaines lord Salisbury et le marquis di Rudini exprimaient leur opinion sur l’état du continent ; elle était encore plus connue lorsque tout récemment le comte Kalnoky a eu à s’expliquer à Vienne devant les délégations inaugurées par l’empereur. Ni les uns ni les autres n’y ont vu une menace pour la paix, quoique les uns et les autres aient pu y voir un contrepoids de l’alliance à laquelle ils se rattachent.

Par le fait, entre ce qu’ont dit les premiers ministres de l’Angleterre et de l’Italie, ce que vient de déclarer hier encore M. de Caprivi lui-même, et ce qu’a dit il y a quelques jours le comte Kalnoky, la différence n’est pas bien sensible. Peut-être l’empereur François-Joseph, dans le discours par lequel il a ouvert les délégations, et M. de Kalnoky, dans ses explications, ont-ils laissé entrevoir un peu plus de réserve. Dans le fond, le souverain autrichien et son chancelier ont parlé, en hommes suffisamment rassurés, des relations générales de l’Europe, des dispositions pacifiques de toutes les puissances. M. de Kalnoky n’a point hésité à déclarer qu’il ne voyait pour le moment aucune grande question politique d’où pût naître la guerre, qu’aucune grande puissance ne nourrissait une pensée d’agression à l’égard de son voisin, qu’il n’y avait par conséquent, « à l’heure présente, » aucune crainte à avoir pour la paix. Après cela, le chancelier de Vienne, sans répondre à toutes les questions qui lui ont été adressées, s’est hâté bien entendu de célébrer le renouvellement de la triple alliance comme l’événement le plus favorable à la paix. Quant à la visite de l’escadre française à Cronstadt et à l’entente franco-russe, il en a parlé un peu légèrement et dans tous les cas, de façon à ne pas se compromettre. En fin de compte, M. de Kalnoky, en