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partagèrent, vers le milieu du siècle, les catholiques militans. La révolution de 1848 réveilla, un moment, dans l’Église de nuageuses aspirations sociales. A Rome, le langage et les actes du futur pape du Syllabus semblaient autoriser toutes les espérances et toutes les alliances. « Passons aux barbares et suivons Pie IX, » s’écriait Ozanam, à la veille du 24 février. L’Univers prêchait que la démocratie n’était qu’une application du christianisme. Veuillot voyait dans la révolution de 1848, et « dans les principes sociaux qui allaient se formuler en institutions », l’avènement de la pensée chrétienne dans le gouvernement des sociétés[1]. Lacordaire fondait, avec Ozanam et l’abbé Maret, le journal l’Ère nouvelle qui semblait reprendre le programme de l’Avenir. Les plus conservateurs des catholiques se déclaraient, par la bouche de Montalembert, « prêts à descendre dans l’arène, avec tous leurs concitoyens, pour revendiquer toutes les libertés politiques et sociales[2]. » Durant quelques semaines, on put croire à l’alliance de la démocratie et de l’Église sur cette terre vague des réformes sociales. Les journées de juin en France, la république romaine au centre de la catholicité vinrent bientôt décourager les catholiques les plus optimistes. Pour eux, comme pour le pape, les tendances socialistes se confondirent avec les passions révolutionnaires. Pie IX, revenu de ses illusions généreuses, leur gardait les rancunes d’un esprit déçu et d’un cœur blessé. Le Pie IX de 1848 était mort de ses mécomptes ; il ne les devait jamais pardonner à la démocratie. Politiques ou sociales, toutes les nouveautés redevinrent suspectes à Rome. La curie, systématiquement fermée aux voix de ce monde, inclinait à condamner toutes les aspirations du siècle, sous le nom maudit de révolution. C’est ainsi que, après avoir paru un moment à la veille de s’achever, l’évolution sociale de la papauté se trouvait indéfiniment ajournée. Pour qu’elle pût être tentée de nouveau, il fallait un nouveau pape, une nouvelle Rome, une nouvelle Europe.

Durant tout le long pontificat de Pie IX, pour ne pas dire durant tout notre XIXe siècle, la conduite de la papauté et la politique de l’Église ont été dominées par un souci qui, de loin, peut sembler mesquin, celui du maintien de la royauté temporelle des papes[3]. Comment s’en scandaliser, quand il semblait que l’indépendance spirituelle du saint-siège fût liée à sa souveraineté territoriale ?

  1. Univers, 27 février 1848, article de L. Veuillot, cité par Daniel Stern dans son Histoire de la Révolution de 1848 ; cf. M. Veuillot et les Évêques de France, par l’abbé Ansanlt, p. 72 et 74.
  2. Manifeste publié par l’Univers, le 28 février 1848.
  3. Voyez les Catholiques libéraux, l’Église et le Libéralisme de 1830 à nos jours, chap. XII ; Plon, 1885.