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Page:Revue des Deux Mondes - 1891 - tome 108.djvu/736

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nourri de la viande creuse des théories politiques et enivré de l’eau-de-vie capiteuse des principes abstraits, le peuple réclame des alimens plus substantiels. Cela seul, dit-on à Rome, n’est-il pas la justification de l’Eglise ? et n’avait-elle pas raison quand elle accusait la révolution d’offrir aux peuples des pierres au lieu de pain et du poison sous l’orme de miel ? N’est-ce pas là une défaite pour les arrogantes prétentions du libéralisme parlementaire et des doctrinaires bourgeois qui s’imaginaient suffire à tous les besoins des sociétés avec leur table des droits de l’homme ? Pour apaiser la faim du monstre imprudemment déchaîné et follement investi de la souveraineté, il faut autre chose que des bulletins d’électeurs ou de vagues formules de liberté et d’égalité. — Et, demande l’Église, qu’ont d’autre à lui jeter en pâture le libéralisme bourgeois ou le radicalisme révolutionnaire ? Leurs mains sont vides ; qu’ils les ouvrent : rien dedans.

Ayons la loyauté de le reconnaître : nous avions trop présumé de la liberté. Elle n’a pas tenu toutes les promesses que nous avions faites en son nom, et elle devient, maintenant, victime de l’excès des espérances mises sur elle. Pourquoi ne pas l’avouer ? Le seul fait que, cent ans à peine après la révolution qui devait renouveler la face du monde, les sociétés nouvelles appellent de nouvelles transformations et de nouvelles révolutions est un dur désaveu pour l’orgueil du siècle et pour l’ordre social nouveau. Je ne sais s’il est dans l’histoire spectacle plus attristant. — Mais qu’importe à l’Église ? Pourquoi s’affligerait-elle des déconvenues du siècle ? Que lui fait l’ébranlement de cet édifice à peine achevé d’hier, et qu’il nous semble déjà entendre craquer sur nos têtes ? elle n’en redoute pas la chute ; elle en triompherait plutôt. N’avait-il pas été construit sans elle et parfois contre elle ? La révolution avait prétendu rebâtir la société sans la croix et sans Dieu ; qu’a d’inattendu, ou de lamentable, pour l’Église, l’échec des présomptueux qui avaient obstinément refusé ses bénédictions ? Elle n’a jamais cru à la solidité de leur œuvre ; elle n’a cessé de leur en prédire le renversement. — Puis, en quoi l’Église avait-elle tant à se féliciter de l’ordre social, issu de 1789, qu’elle en dût redouter la précoce décadence ? Que notre orgueilleuse société moderne vienne à s’écrouler, ce ne sera pour la papauté qu’une nouvelle application de l’éternel Nisi Dominus. Voilà bien des années que, sans crainte d’être accusée de radoter, elle nous répète, chaque jour, que si nous voulons raffermir la société, il nous faut la replacer sur la pierre angulaire, sur Dieu et son Christ.

Quand les sociétés nouvelles menaceraient ruine, la papauté, peut-on dire, sait bien que les forces qui en minent les fondemens ne travaillent pas pour l’Église. Ce n’est point pour rétablir