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Page:Revue des Deux Mondes - 1891 - tome 108.djvu/737

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la royauté du Christ et de son vicaire que la démocratie ouvrière s’efforce de renverser le règne de la bourgeoisie et du « capitalisme. » Cela est vrai, et Rome a des raisons de ne pas l’ignorer ; mais Rome, malgré tout, se défie peut-être moins de la démocratie et du populaire que des classes moyennes et de la bourgeoisie. L’Église a, de tout temps, témoigné peu de confiance aux légistes et aux parlementaires, en qui s’est incarné l’esprit bourgeois. Elle a trouvé en eux ses adversaires les plus dangereux, sinon les plus ardens : elle craint moins la grossièreté, les coups de tête et les coups de main des masses ignorantes que l’astuce perfide et les hypocrites respects des hommes de loi. N’est-ce pas ces derniers qui, sous le couvert d’un libéralisme souvent plus soucieux de domination que de liberté, l’ont frustrée de son autorité, dépouillée de ses biens, et, ce qui lui est plus sensible, l’ont bannie successivement de toutes les sphères de la vie sociale ? La démocratie, avec ses violences, ses appétits, ses emportemens, le peuple avec sa brutalité et sa férocité, c’est le barbare, le sauvage, si l’on veut ; mais des sauvages et des barbares, l’Église en a tant rencontré dans sa longue existence, elle en a tant baptisé qu’elle se flatte d’avoir aussi raison de celui-là. La brute ne lui fait pas peur ; elle croit avoir de quoi la mater. Libre au monde de taxer sa confiance de témérité ; elle lui répond en répétant les promesses de son divin fondateur. L’église a cette chose unique qui s’appelle la foi ; elle l’a autant, elle l’a plus peut-être qu’à aucune époque des quatre ou cinq derniers siècles. Comme autrefois, dans l’arène du Colisée, sous les regards des Césars et des vestales, elle trouverait des hommes pour descendre, les mains jointes, au milieu des léopards. Apprivoiser les lions, rogner les grilles des tigres lui a toujours paru de sa mission ; elle a, de sa jeunesse, gardé le goût du métier de dompteur.

Un rôle, au contraire, qui, à Rome et partout, commence à lui peser, c’est celui que notre égoïsme s’imaginait fait pour elle, celui de chien de garde à la chaîne, — ou, comme disait Veuillot, celui de gendarme en soutane, le seul que consentissent à lui laisser les maîtres de la société bourgeoise[1]. Une sorte de police spirituelle, complément et auxiliaire de l’autre, c’est bien en effet ce que Thiers comme Napoléon, ce que le patron de la loi Falloux de même que l’auteur du Concordat eussent voulu faire du clergé[2].

  1. Lettre de L. Veuillot à M. Rendu, évêque d’Annecy, 2 mars 1849 : « M. Thiers voudrait aujourd’hui fortifier le parti des révolutionnaires contens et repus, dont il est le chef, d’un corps de gendarmes en soutane, à cause de l’insuffisance manifeste des autres. »
  2. Rappelez-vous le langage du cardinal Maury à M. Pasquier, préfet de police de l’Empire : « Avec une bonne police et un bon clergé… » Voyez M. Taine : la Reconstruction de la France en 1800, l’Église. (Revue du 1er mai.)