Page:Revue des Deux Mondes - 1891 - tome 108.djvu/739

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ailleurs. » Nous croyions, bonnement, que c’était pour cela surtout que la religion méritait de vivre, — et nous nous en cachions si peu que le peuple a appris de nous à s’en méfier, si bien que, pour lui, aussi, la religion a perdu presque toute son efficacité. Après avoir enlevé à l’Église ses biens et ses fondations, après l’avoir dépossédée de ses droits et privilèges, après avoir souvent fermé ses écoles, ses monastères, ses noviciats, et tout en prenant soin de la tenir à l’écart des affaires de ce monde, nous l’appelions volontiers à notre aide pour refréner les passions et brider les appétits du populaire. Le calcul de notre part était sage ; c’était de bonne politique, et d’hommes avisés. L’erreur, la naïve erreur était de croire que l’Eglise dût toujours se prêter à ce jeu.

Si nous lisions encore la Bible, notre manière de procéder avec l’Église, vis-à-vis des masses ouvrières, nous rappellerait une des lointaines histoires du Pentateuque, celle du prophète Balaam que le roi de Moab va chercher pour maudire le camp d’Israël et arrêter par ses imprécations l’invasion des douze tribus. Nous, aussi, nous avions, en quelque sorte, été chercher la vieille Église pour exorciser les foules et arrêter, au seuil de nos demeures, l’irruption des hordes inquiétantes qui campent à nos portes. Nous nous promettions de l’entendre maudire les revendications téméraires qui menacent notre repos et l’héritage de nos enfans. Et comme Balaam, en présence des tabernacles d’Israël, la vieille Église, amenée devant les foules démocratiques, s’est mise à parler un langage qui nous a surpris et qui n’était pas celui que nous attendions d’elle. Elle, aussi, a refusé de maudire ; au lieu d’anathèmes, elle a répandu sur les tribus des travailleurs ses bénédictions. « J’ai reçu commission de bénir, » nous répond-elle, à son tour, comme Balaam à Balac, roi de Moab. Aux foules démocratiques, rangées devant elle en bataille pour la conquête du monde, elle a dit que leurs souffrances étaient imméritées et que leur cause était juste. — Voulez-vous sortir des arides régions du désert où vous peinez, depuis des générations, suivez-moi, leur a-t-elle dit, et je vous conduirai dans la terre de Chanaan où vos enfans trouveront l’abondance. Tel est, en substance, avec des précautions de langage, le discours tenu par la papauté à la démocratie. Encore une fois, ce n’est pas tout à fait celui que le monde attendait d’elle. Quelques-uns en ont pris scandale. Ils ont tort. Comme Balac, roi de Moab, ils ont oublié qu’on ne fait pas la leçon aux prophètes ; que lorsque l’Église ouvre la bouche, c’est pour répéter les paroles que Dieu lui met sur les lèvres. Or, le Dieu de l’Évangile est avec les petits, et ses faveurs sont pour les pauvres. Ils sont les bénis du Père céleste.