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Page:Revue des Deux Mondes - 1891 - tome 108.djvu/779

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LES DUPOURQUET.

une avalanche de paquets de toute sorte qui rebondissaient en tombant, ce fut pendant quelques minutes une de ces étreintes brutales où l’on se meurtrit de tendresse, et que l’on prendrait aisément pour une lutte implacable, n’étaient les exclamations joyeuses dont on s’assourdit et le bruit rythmique des baisers que, dans la précipitation, on se plante un peu au hasard sur le nez et sur les oreilles.


II.

Dupourquet avouait la soixantaine, qu’il portait gaillardement, du reste, avec ses joues pleines, luisantes de santé et fibrillées de rouge aux pommettes, sa taille épaisse mais droite, ses membres robustes conservant, grâce à la vie au plein air, comme une agilité de jeunesse.

La vulgarité de ses traits racontait son origine.

Il avait les cheveux ras, plantés bas sur un front têtu, de petits yeux gris voilant à demi leurs lueurs vives sous la broussaille des sourcils, un grand nez, de rapace cambrure, où des physiologistes eussent démêlé tout à la fois l’avidité mesquine du paysan et l’instinct jouisseur du bourgeois ; et, dans le débordement des bajoues, un menton qui se gardait large et ferme, sans grâce, comme sans faiblesse, mettant bien le sceau de la volonté dans ce masque de bonhomie.

Dupourquet était issu, en effet, d’une famille de terriens dont l’aisance datait de loin, s’était accrue peu à peu à la façon des tirelires qu’on alimente sou par sou, et dont trois générations laborieuses et patientes avaient fait une fortune.

Dans la vallée du Lot, de Luzech à Fumel, le père a survécu à lui-même et laissé comme une gloire impérissable le prestige d’un sobriquet.

Ses contemporains l’appelaient le Terrible, et cette épithète qui, dans les gosiers gascons, roule avec un bruit de pierres, résumait tout ce que l’on avait reconnu en lui de courage, de force, de résistance et de raison.

Il avait à lui seul, pendant longtemps, satisfait aux exigences de sa terre, accompli journellement, au dire des vieux, la besogne de quatre hommes d’aujourd’hui, mangeant peu, dormant à peine, et continuant aux étoiles, par les nuits claires, son interminable tâche.

Longtemps on l’avait pris pour un de ces loups-garous que les imaginations naïves de la campagne se représentent galopant par monts et par vaux leur destinée, sans se reposer jamais ; mais, à plusieurs reprises, des gens attardés au retour des foires et blottis