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Page:Revue des Deux Mondes - 1891 - tome 108.djvu/784

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rythmés par le trot de la Grise, que des claquemens de ressorts et des sifllemens de charnières.

Génulphe boudait, le chapeau sur les yeux. Mme Dupourquet cherchait dans son sac de voyage une mandarine qu’elle rapportait de Bordeaux. Thérèse, oubliant son rôle, les yeux ravis, contemplait le paysage.

Devant elle, la plaine que les rayons obliques du couchant baignaient d’une lueur éblouissante. À sa gauche, défrichés à leur base, boisés à leur cime, les coteaux qui vont en cercle de Lafaurie jusqu’à la combe de Filhol. À sa droite, le Lot coulant invisible entre deux berges hautes plantées de peupliers de distance en distance, et plus loin, assis au pied de sombres collines abruptes couronnées de masses granitiques, le village de Duravel de glorieuse mémoire où, sous le règne de Charles V, la garnison de Cahors, qui s’y était réfugiée, repoussa les assauts multiples des forces anglaises.

Elle regardait tout cela, et sa froideur de petite pensionnaire poseuse se fondait au charme infini de ce coucher de soleil, si lumineux et si calme, où flottait dans l’air, s’épandait sur la terre, comme une poussière d’or.

À chaque détour de la route, elle retrouvait un souvenir, mettait un nom sur tous ces visages hâlés qui la saluaient d’un bon sourire, reconnaissait avec une sorte d’attendrissement jusqu’aux bêtes que l’on rencontrait, les chevaux du meunier de Lacroze qui paissaient entravés dans un champ de luzerne, les deux labrits du moutonnel qui sautaient d’un air féroce aux naseaux de la Grise et aboyaient après les roues.

Un peu de tous côtés dans la plaine, aux limites des pièces nouvellement travaillées, des colonnes de fumée montaient épaisses, verticales ; puis, à une certaine hauteur, comme empêchées par l’air trop dense, elles se ployaient, s’élargissaient en un panache de vapeurs diaphanes qui planaient comme un brouillard.

Thérèse se disait : « On est en train de faire les labours d’été ; ce sont des feux de chiendent. »

Et elle aspirait à pleines narines frémissantes cette odeur acre des herbes brûlées. Elle se rappelait qu’étant petite, malgré la défense de son père, elle suivait les journaliers, les aidait à porter le chiendent, à rassembler la pile que l’on allumait avec une poignée de pailles arrachées au chaume voisin ; puis, quand la flamme pointait en jets brusques, impuissans, au travers de la terre encore fraîche, elle dansait autour du feu, le stimulait à grands coups de ses petits pieds comme une bête paresseuse.

Elle était revenue souvent au Vignal depuis son départ pour