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malgré tout cela, ces pauvres écrivains sont des auteurs à lire, ces rimeurs sans rimes des poètes et ces pauvres faiseurs de dialogues des auteurs dramatiques. C’est vraiment trop demander. Quant à voir en eux les devanciers et les inspirateurs des vrais poètes du siècle suivant, il n’est pas nécessaire de reprendre une fois de plus le parallèle si souvent institué jusqu’ici ; il serait oiseux, après ce qui précède, de recommencer la démonstration.


V

Platitude, insignifiance, stérilité, tels sont les mots qui, par la nature des choses et la force du sujet, viennent à chaque instant sous la plume, lorsque l’on s’occupe de la comédie du moyen âge. Malgré la complaisance d’usage pour leur objet, les historiens de cette littérature ne peuvent faire autrement que de les employer eux-mêmes ; à plus forte raison les simples critiques, dégagés de cette complaisance et à qui l’on ne saurait demander autre chose que des impressions sincères. Et pourtant ces historiens expriment à chaque page le regret que cette comédie n’ait pas survécu ; ils insistent sur ce point qu’elle était originale et nationale, tandis que la comédie du XVIIe et du XVIIIe siècle fut imitée et d’origine étrangère ; ils s’efforcent de trouver une filiation entre les deux périodes, et de relever dans la plus récente quelques imitations de détail.

Il y a là une contradiction singulière et inacceptable. Si la comédie du moyen âge est morte, c’est qu’elle méritait de mourir, car elle n’avait rien de ce qui constitue la vie, et, stérile, comment aurait-elle pu laisser une postérité ? Qu’elle ait été originale et nationale, il importe vraiment assez peu et cela ne saurait changer grand’chose au jugement d’un lecteur impartial. En littérature comme en toutes choses, les origines et les points de départ n’ont, en eux-mêmes et pour eux-mêmes, qu’un intérêt médiocre ; ce qui importe, c’est la carrière suivie et les résultats. Que la vraie comédie française, celle qui nous intéresse et qui nous donne une leçon continuelle d’observation et d’expérience, source toujours jaillissante d’esprit comique et de gaîté, soit italienne et latine d’origine, qu’elle ait commencé par l’imitation et lui ait toujours donné une grande place dans le choix de ses sujets et de ses moyens, en quoi cela peut-il augmenter ou diminuer sa valeur propre ? Comme aussi d’être française et née sur notre sol, cela peut-il donner à la comédie du moyen âge l’invention, la fécondité, l’intérêt et le style qui lui manquent ?