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implique l’utilité de l’expérience et la nécessité de l’étude ; elle est une science, ou plus exactement un art, elle a une méthode, elle comporte un certain nombre de procédés raisonnes, qui ont pour but de conduire le plus rapidement et le plus sûrement possible les colonies à la prospérité.


I

Quand on cherche quels sont les élémens indispensables de la prospérité des colonies, on en trouve trois principaux : de bons colons, de bonnes lois, de bons fonctionnaires. Les bons colons sont les hommes vivant ou aptes à vivre en famille, robustes et sains, riches d’énergie et d’initiative, doués de patience et munis de quelques capitaux. Les bonnes lois sont les lois modestes dans leurs prétentions, libérales dans leur esprit, souples dans leurs formules, qui réglementent peu, n’ambitionnent pas de tout prévoir et se gardent également d’entraver l’action des colons et de restreindre la responsabilité des administrateurs. Enfin, les bons fonctionnaires sont les administrateurs aux idées larges et aux intentions élevées, à l’intelligence compréhensive et au jugement droit, jaloux des seuls intérêts des colons et de la colonie, interprétant les lois et au besoin les élargissant de façon à en faire une force, non une gêne pour la communauté. Cet idéal, bons colons, bonnes lois, bons fonctionnaires, je doute qu’il se rencontre nulle part ; je suis sûr qu’il ne se rencontre pas dans les colonies françaises. Nos colons, pour la plupart célibataires, sont, à beaucoup d’égards, inférieurs à la moyenne de la population de la métropole. Notre législation, trop touffue et trop changeante, est, malgré cela, ou surannée ou rigide à l’excès. Nos fonctionnaires, en dépit de ce que tente l’administration centrale, trop nombreux, recrutés au hasard, avancés par caprice, n’ont trop souvent ni compétence ni responsabilité. Ainsi tous ces élémens de prospérité, que nous déclarions indispensables, nous font défaut à la fois. Et pourtant la France les a chez elle à profusion et les a eus autrefois dans ses colonies.

On ne connaît pas assez la politique coloniale de l’ancien régime ; sa politique européenne lui a fait tort. Cette politique coloniale a eu un vice capital : elle a manqué d’esprit de suite. Mais, pour ce qui nous occupe ici, elle a, dès ses débuts et durant deux siècles, montré dans la conception de ses plans une sagesse et dans l’exécution une ingéniosité qui ne seront jamais surpassées. Je n’insiste pas sur les lois. L’ancien régime n’avait pas, à vrai dire, de lois coloniales. Les colons s’en allaient fonder au-delà des mers, dans des pays sans habitans, une nouvelle