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nombreux et complexes doivent entrer en ligne de compte : puissance de la métropole et aptitudes des colons, climat et ressources de la colonie, caractère et institutions des indigènes. L’expérience de l’Angleterre risque de n’être pas profitable à l’Espagne ; les résultats obtenus en Afrique n’autorisent pas à rien préjuger en Asie. Les mots eux-mêmes ont leur influence. Une colonie diffère plus qu’on ne le croit d’un protectorat. Ouvrez le Colonial Office List de l’Angleterre : l’Inde n’y figure pas. Pourquoi ? C’est que l’Inde n’est pas une colonie, c’est une vice-royauté, ou d’un terme plus énergique si on en comprend tout le sens, un vice-état. Elle a ses organes distincts et indépendans, et son conseil de Londres, tout-puissant sur elle, ne peut rien sur les Antilles ou sur le Canada. Donc, si nous voulons nous former aux leçons de l’étranger, choisissons bien nos maîtres. Ces maîtres ce seront ou les Hollandais, ou de préférence les Anglais. Mais les Anglais d’Australie, par exemple, n’ont rien à nous enseigner pour notre Algérie ou notre Sénégal, ni ceux d’Amérique pour Madagascar. Si nous souhaitons nous instruire avec eux des choses de l’Afrique, allons au Cap ou sur la côte occidentale. Si nous voulons, — et c’est ce que nous nous proposons, — faire tourner nos études au profit de notre Indo-Chine, c’est en Asie qu’il nous faut les poursuivre, sous des latitudes voisines et dans des conditions comparables : à Singapour, à Hong-Kong, en Birmanie.

L’histoire de Singapour nous révélerait les secrets d’une politique économique clairvoyante. Singapour a dépendu de l’Inde avant d’être rattaché aux Straits Settlements. L’Inde s’était donné, depuis des années, un régime douanier fiscal et même protecteur. Elle soumettait presque tous les objets à des droits d’entrée ou de sortie ; elle avait même conservé les douanes intérieures : à l’imitation de la muraille de Chine, une barrière, une barrière réelle, faite d’une immense haie impénétrable d’arbres à épines, que renforçaient des murs et des fossés, s’étendait, à travers l’Inde tout entière, d’un point situé sur l’Indus, au nord d’Attock, jusqu’au Mahanadi, à la frontière de Madras, durant plus de 2,500 milles, la distance de Moscou à Gibraltar. Cette barrière, qui ne pouvait se franchir que sur des points déterminés, le gouvernement de l’Inde l’entretenait avec un soin jaloux : il y voyait un rempart et une source de richesses. Or ce même gouvernement, devenu maître des destinées de Singapour, en faisait, dès le premier jour et sans hésiter, un port franc, lui assurant ainsi tout le bénéfice de la situation privilégiée à laquelle il doit aujourd’hui un commerce annuel de plus de 600 millions de francs.

L’histoire de Hong-Kong, il y a cinquante ans île déserte, roc dénudé, refuge ordinaire de pirates, conquise et colonisée parmi