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de puissance aussi exagérée que l’était sa réputation de richesse. Quand on put la voir de près, le prestige lut vite dissipé. Mais vers la fin du XVIIIe siècle, au moment où les Anglais commencèrent à suivre de près les choses de ce pays, il subsistait encore presque intact. Or, précisément vers la fin du XVIIIe siècle, l’Angleterre avait assez de difficultés, dans l’Inde et l’Amérique, pour n’en pas vouloir chercher d’autres. Il était donc et de son intérêt et dans ses intentions de ne pas porter avant le temps la main sur la Birmanie.

Elle eut néanmoins quelque mérite à garder ses résolutions. Car si elle s’obstinait à ne pas toucher à la Birmanie, c’était évidemment à la condition que personne autre ne le fît à sa place. Or, précisément encore, à la fin du XVIIIe siècle, on pouvait croire, sans trop de crédulité ni de mauvaise foi, que les Français cherchaient en Birmanie la revanche de l’Inde. Dès 1751, Dupleix avait envoyé un ambassadeur au roi de Pégou et obtenu une concession à Sérian. Naturellement, la tentative de Dupleix avait été, après lui, abandonnée ; mais plus tard, en 1769, notre compagnie des Indes orientales s’était efforcée de rétablir et de développer le commerce avec la Birmanie. En 1794, le bruit se répandit que les Français songeaient à prendre pied en territoire birman, « ce que, dit un contemporain, tous ceux d’entre eux qui se connaissaient dans les affaires de l’Inde avaient grand désir de faire. » D’autre part, le gouvernement birman qui, dès cette époque, se sentait menacé par les Anglais, s’efforçait de gagner l’appui de la France. En 1802 arrivaient à Rangoon quatre aventuriers soi-disant français : l’un, véritablement Français, s’était enfui des prisons de Calcutta ; un autre, d’origine américaine, était subrécargue d’un navire de commerce ; les deux derniers avaient dans les veines du sang birman. Ils n’avaient à aucun titre qualité pour parler au nom de la France et déclinaient formellement de le faire. Mais le roi de Birmanie insistait pour voir en eux des ambassadeurs et les traitait comme tels. Il les appelait à Mengoon et les recevait au palais en audience publique, tandis qu’un envoyé de lord Wellesley, vice-roi de l’Inde, le colonel Symes, restait là plus de deux mois sans qu’on parût même soupçonner sa présence. En même temps, les Birmans prenaient vis-à-vis de leurs puissans voisins une attitude décidément hostile. En 1794, c’étaient des démonstrations menaçantes sur la frontière du Chittagong ; en 1811, commençaient dans la province d’Aracan toute une série de troubles et d’incursions.

L’Angleterre, pendant plus de trente années, absorbée par les événemens d’Amérique et d’Europe, s’émut à peine de ces rodomontades. Elle affecta au contraire de se rapprocher davantage des Birmans, multipliant les missions et les ambassades, cherchant