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l’amener à intervenir dans les affaires du royaume. Le massacre odieux de presque tous les membres de la famille royale, la fuite affolée d’une population immense, enfin d’imprudentes chicanes à une compagnie anglaise qui exploitait des forêts, la Bombay Burmah trading corporation, fournirent l’occasion cherchée. Le gouvernement de l’Inde envoya au roi Thibau un ultimatum, qui ne pouvait être que repoussé. Aussitôt les troupes anglaises franchirent la frontière (1885).

L’expédition fut menée avec une rapidité presque sans exemple. Le 25 septembre, il n’y avait encore à Rangoon ni troupes ni bateaux, et le chief commissioner, M. Bernard, prévoyant des complications prochaines, devait prendre sur lui de retenir une canonnière qu’un ordre rappelait vers l’Inde. Le 17 octobre, le secrétaire d’État télégraphiait à Londres au vice-roi qu’il ferait sagement, en adressant son ultimatum au roi Thibau, d’expédier en même temps des troupes à Rangoon. Le 10 novembre, le général Prendergast marchait sur Mandalay ; le 1er décembre, il pénétrait dans la capitale et s’emparait du roi ; le 2, il l’envoyait captif à Rangoon d’où on le dirigeait vers l’Inde. Le pays tout entier était ouvert au vainqueur ; l’antique royaume de Birmanie avait vécu. L’expédition proprement dite avait duré trois semaines.


III

Le 1er décembre, la reine Victoria envoyait au vice-roi des Indes un télégramme ainsi conçu : « Je vous prie d’exprimer mes chaleureux remercîmens au général Prendergast et mon admiration pour l’habileté avec laquelle il a conduit toute l’expédition. » Ce message de la reine impliquait la conviction que, l’ennemi battu, l’armée débandée, le roi fait prisonnier, tout était terminé. Et cette conviction, presque tout le monde la partagea au moins un instant. Mais bientôt à cet optimisme « succéda, dit un témoin occulaire, l’opinion que les choses étaient encore dans un fâcheux état d’incertitude. » Et les hommes d’expérience virent, comme l’écrivait plus tard le lieutenant-colonel A.-R. Gloag[1], que la soumission du pays serait longue et que la prise de Mandalay était un commencement, non pas une fin. La guerre de 1824 avait duré deux ans, mais le rétablissement de l’ordre dans les provinces annexées n’avait pas exigé moins de cinq années. Celle de 1852 avait été moins longue : commencée en janvier, elle était terminée en décembre ; mais il avait fallu huit années pour pacifier le pays.

  1. Lettre au Times, 12 septembre 1888.