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Que faudrait-il de temps, cette fois, après une campagne de trois semaines ? Même les gens d’expérience, même ceux qui jugeaient les troubles possibles, voire inévitables, n’assignèrent pas à l’œuvre d’apaisement une durée suffisante. Lord Dufferin, esprit sage cependant et éloigné de l’optimisme, estimait qu’il fallait deux ans pour ramener dans le pays une tranquillité « raisonnable… » Cinq années se sont écoulées et presque chaque jour voit encore se produire des actes de piraterie.

Au début, grâce à des mesures, en général bien conçues, on avait espéré localiser les troubles dans la Haute-Birmanie, et pendant quelque temps on y réussit. Mais pour contenir la Haute-Birmanie, il fallut dégarnir de troupes la Birmanie inférieure. Cela y rendit facile l’action des malandrins. Et il n’y avait pas seulement les malandrins à redouter. Pour un grand nombre de Birmans sujets anglais, le roi de Mandalay était demeuré un être sacré ; ceux qui osèrent porter la main sur lui leur parurent des sacrilèges dont c’était un devoir de secouer le joug et de punir l’insolence. Aussi, tandis que, dès 1886, les Anglais se flattaient en Haute-Birmanie d’avoir dégagé le pays central et acculé les bandes hostiles dans la province des mines de rubis, vers les états shans et sur la frontière chinoise, ils virent, à la fin de cette même année et en janvier 1887, des troubles éclater dans deux districts de la Basse-Birmanie, ceux de Prome et de Tharrawady et gagner bientôt d’autres districts plus éloignés de la frontière commune. On n’y ramena une tranquillité toute relative qu’au prix des mesures les plus énergiques : expéditions contre les bandes, mise à prix des têtes des chefs, répression impitoyable ; et encore n’est-ce qu’en mai et juin 1887 que l’amélioration se dessina, qu’à la fin de 1888 qu’elle devint sensible.

Les Birmans anglais, plies de longue date à une domination dont ils connaissaient la puissance et dont les misères d’une vie d’aventures venaient d’ailleurs fort à propos de leur remémorer les bienfaits, furent en somme assez facilement ramenés à résipiscence ; bientôt ils cessèrent de passer la frontière pour aller se joindre aux insurgés du Nord, et, vers le milieu de septembre 1888, on constatait qu’aucun des prisonniers ne parlait plus anglais : c’était donc tous des Birmans des nouvelles provinces. Mais tandis que la révolte se calmait dans le sud, au nord elle semblait s’exaspérer. Après trois ans d’efforts, en 1888, les bulletins officiels, tout atténués qu’ils fussent, étaient plus alarmans qu’ils ne l’avaient jamais été. Tout le district de Mandalay était à feu et à sang ; durant trois mois, des incendies s’y allumaient presque chaque soir ; les fils télégraphiques étaient arrachés ; les travaux de la voie ferrée de Toungoo à Mandalay menacés ; le chemin de