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eut un immense retentissement. Suivant l’usage, les accusés attaquèrent au lieu de se défendre et les journaux répandirent les doctrines incriminées en les exposant. Mme Besant se défendit elle-même. Invoquant l’exemple de la France, où les familles, affirma-t-elle, sont volontairement restreintes, et où cependant l’amour filial et l’esprit de famille sont des traits caractéristiques de la nation, elle proclama la moralité du but malthusien. Enfin, très maîtresse d’elle-même, elle termina par ces mots : — « Vous ne me connaissez pas beaucoup, je le sais, mais vous pouvez me juger par mes paroles ici, par ma tenue devant vous. Eh bien ! osez-vous dire que j’aie l’air d’une femme corrompue qui veut corrompre ? Condamnez-moi, jetez-moi dans une prison, joignez-moi à ce troupeau de malheureuses dissolues et dépravées dont le langage même me causera une agonie,.. une agonie telle que je ne trouve pas de mots pour l’exprimer. Dans cette prison, je continuerai mon œuvre, parmi ces femmes dégradées, oui, parmi ces femmes. Est-ce que vous croyez me déshonorer avec votre verdict de culpabilité ? J’ai mon passé pour moi, contre vous… Si vous nous condamnez, nous en appellerons à une cour plus haute, à un plus grand jury, nous en appellerons de vous au monde civilisé, de cette barre à la barre de l’opinion publique, qui, quelle que soit votre décision, dira : « Non coupables. » Nous en appellerons à l’histoire qui nous jugera tous quand nous aurons passé et qui se souciera peu de votre propre jugement. Pesant les choses du fond de l’éloignement des siècles, elle dira que l’homme et la femme debout en ce moment devant vous qui, connaissant la misère de leur temps, les souffrances de leurs frères, unirent leurs mains et leurs vies pour apporter le salut au foyer du pauvre, méritèrent bien de leur époque et de leur génération. Elle dira : « Ils ont bien fait. » Et peu importera ce que vous, vous aurez dit. »

Des applaudissemens éclatèrent. Mme Besant et M. Bradlaugh n’en furent pas moins condamnés « à être emprisonnés dans la geôle de Sa Majesté à Holloway durant six mois de calendrier qui seront comptés à partir du premier jour qu’ils seront mis en ladite geôle, et aussi à payer à Notre Souveraine Dame la Reine la somme de 200 livres chacun en bonne monnaie légale de Grande-Bretagne. Devant de plus les deux condamnés donner sécurité sur leur propre signature pour la somme de 500 livres, et deux suffisantes cautions pour la somme de 200 livres, le tout devant garantir leur bonne conduite pendant deux ans, lesquels seront comptés à partir de l’expiration desdits six mois d’emprisonnement. » Il faut ajouter bien vite que Mme Besant donna caution, mais ne fut pas incarcérée.

Aussitôt sortie du tribunal, Mme Besant, ainsi qu’elle l’avait