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annoncé, continua son œuvre. L’éclat du procès avait fait vendre 100,000 exemplaires des Fruits de la philosophie. Malgré cela, elle en arrêta la vente et remplaça cette brochure hâtive par un petit livre écrit par elle et qui se vendit encore mieux. Ce livre était la Loi de la population, traduit maintenant en allemand, en italien et en russe, et qui a donné à son auteur une célébrité singulière que sa retentissante conversion a confirmée.

Après avoir rappelé les efforts faits par ses prédécesseurs, Stuart Mill, Carlyle, Knowlton, Owen, Mme Besant déclare que tout reste encore à faire tant qu’on n’a pas porté la doctrine salutaire à ceux-là seuls qui en ont besoin, aux pauvres, par un livre clair, énergique, et à bon marché. Tel est le but de la Loi de la population, prix 6 pence. Et elle pose tout de suite, sans discuter, le principe de Malthus, à savoir que la population ne peut s’accroître au-delà de ce que permettent les subsistances, mais qu’elle s’élève toujours jusqu’à cette limite extrême. Conséquence, la misère. Remarquez cet esprit de foi de Mme Besant. Elle ne songe pas une minute à se demander si le principe est vrai, à ouvrir une statistique démographique pour examiner si bien vraiment « la croissance des générations humaines suit une progression géométrique. » Cette formule a l’air scientifique, cela lui suffit. M. Dumont[1], dans un récent ouvrage, observe que les familles aristocratiques anglaises, jouissant de revenus énormes, n’auraient aucune raison pour ne pas s’être développées suivant cette loi, si bien qu’une seule remontant à l’an 1000 devrait avoir aujourd’hui 17 milliards de descendans. Or, elles s’éteignent si vite, ai contraire, qu’il n’existe plus aujourd’hui que vingt-quatre pairies, sur trois cent soixante-douze, dont les titulaires remontent au XVe siècle. Mme Besant n’a pas eu l’idée de cette preuve par l’absurde. Elle ne s’est pas demandé non plus pourquoi dans l’empire romain la population avait diminué tandis que grandissait la richesse publique. Elle avait besoin d’une croyance, elle a cru en Malthus, et s’est mise à prêcher son évangile sans lui faire subir un examen trop approfondi.

« Des freins puissans, dit-elle, le vice, la misère, la maladie, arrêtent le flot montant des générations. Mais chaque progrès de la civilisation tend à empêcher ces freins d’agir. Chez les peuples primitifs, la faim, la saleté, l’abandon des vieillards, l’infanticide, la guerre, qui tue les vigoureux jeunes gens, les beaux reproducteurs, arrêtent la croissance exagérée de la population. Mais actuellement, que se passe-t-il ? Des hommes, des femmes, des enfans qui à

  1. Dumont, Dépopulation et Civilisation ; Lecrosnier.