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aussi à troubler toutes les situations, à fausser les ressorts du gouvernement, à compromettre les intérêts les plus sérieux par les déclamations, les excitations ou les indiscrétions.

Sans aller plus loin, pas plus tard que la semaine dernière, on a passé cinq ou six jours à discuter sur notre marine, sur la nécessité d’une réforme complète de nos institutions maritimes. Les discours se sont succédé. On a fait le procès de tout : de l’administration, des conseils supérieurs de la marine, de la constitution de notre flotte, de nos ingénieurs. Rien n’a été oublié. Un homme d’esprit, ancien ministre tout comme un autre, M. Edouard Lockroy, qui est passé général il y a quelque temps en écrivant sur M. de Moltke, et qui a tenu à passer amiral par un récent discours, s’est chargé d’instruire ce grand procès de la marine française. Oh ! il a tout vu, il sait tout. Il se fait un devoir de tout éplucher, de démontrer que nos constructions navales sont insuffisantes ou mal conçues, que nos navires sont « hors d’état de résister à l’ennemi, » à peine capables de tenir la mer, que nos défenses fixes n’existent pas, que tout le mal vient d’une administration vieillie. Et M. Clemenceau qui est, lui aussi, un grand marin quand il n’est pas occupé à guerroyer contre le cléricalisme, M. Clemenceau est intervenu à son tour pour prouver qu’il n’y avait pas sur nos vaisseaux un canon à tir rapide parce qu’on ne veut pas recourir à l’industrie privée. Bref, il n’y a rien chez nous quand les autres ont tout, quand les républiques de l’Amérique du Sud elles-mêmes ont un outillage perfectionné, et au prochain conflit il ne resterait plus à nos marins, à leurs chefs, d’autre ressource que de se faire couler héroïquement devant l’ennemi ! C’est peut-être beaucoup dire, on en conviendra. Qu’il y ait encore des traditions ou des méthodes un peu surannées dans notre administration, que le renouvellement de nos forces navales, ralenti après 1870, n’ait pas été poursuivi avec la même activité que la réorganisation de notre armée de terre et qu’il reste toujours à faire pour notre flotte, cela se peut ; que, de temps à autre, il s’élève quelque voix pour donner un avertissement, pour réveiller la vigilance et le zèle de ceux qui ont la responsabilité de notre marine, soit encore, rien de mieux. Au-delà, c’est une exagération évidente de se livrer à ces peintures, à ces prétendues révélations d’un pessimisme découragé et décourageant. L’inconvénient de ces démonstrations est de ne pouvoir être réfutées que par des divulgations qui ne sont pas sans danger pour la défense nationale, devant lesquelles la chambre elle-même a reculé, de signaler à l’étranger des faiblesses après tout toujours réparables, et de laisser l’opinion sous cette impression douloureuse que notre marine ne serait pas en état de faire son devoir. On n’en est pas là, heureusement, et ce n’était pas la peine d’accompagner le budget d’un si noir commentaire.

C’est toujours la même chose. On veut et on ne veut pas. On désire