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LE BERRY.


La cérémonie des funérailles chez les pauvres gens de la campagne a conservé son antique simplicité, et, de plus, un usage dont l’origine me semble bien ancienne. Il m’est souvent arrivé, en parcourant les plaines de la Vallée-Noire, de me croiser avec une charrette tirée par quatre jeunes bœufs, n’ayant d’autre charge qu’un cercueil en bois blanc, sans drap mortuaire et sans couronne d’aucune sorte. C’était un convoi de paysans que les fils du défunt, l’aiguillon à la main, et sa veuve, drapée dans une mante noire, le capuchon baissé, conduisaient à sa dernière demeure. À chaque croisement de voies, en Berry, s’élève invariablement sur un tertre gazonné une grande croix de bois ; là, le cortége funèbre s’arrête, des cierges s’allument, des prières sont dites, puis l’un des assistans dépose au pied de la grande croix rustique une autre petite croix minuscule faite de copeaux grossièrement taillés. Aux carrefours les plus fréquentés, l’amoncellement de ces offrandes pieuses, les unes toutes blanches encore, les autres vermoulues, est considérable. Et il en est toujours ainsi, là où quatre chemins se croisent, et jusqu’à la pierre des morts qui se trouve placée devant chaque église de village ; pierre moussue sur laquelle, depuis un temps immémorial, les corps sont déposés jusqu’à l’arrivée du prêtre. Que signifie cette coutume que l’on m’a dit être fort ancienne ? Est-ce pour recommander le défunt aux prières des passans ? Est-ce le dernier hommage rendu par le cultivateur qui n’est plus, à ces grandes croix dont les bras semblent bénir l’immense plaine, où, lui, le front baigné de sueur, et ses bœufs haletans, ont tant de fois creusé le sillon, et vers lesquelles il s’est pieusement tourné, comme les moissonneurs de Millet, à l’heure de l’angélus ? C’est un spectacle qui émeut, surtout en hiver, lorsque la bise souffle glacée sur les guérets, que le convoi se profile à l’horizon, ou marque d’un point sombre la plaine couverte d’une neige immaculée.

L’autre usage me semble remonter à une haute antiquité. Une écuelle est placée sur les tombes dès qu’elles ont été nivelées par la pelle du fossoyeur ; l’écuelle est vide, il est vrai, mais n’a-t-elle jamais contenu l’obole ou les grains de froment si souvent trouvés dans les anciens tombeaux ?

IV. — LE PAYS DES BITURIGES : DE JULES CÉSAR À CHARLES MARTEL.

Je me garderai bien de flatter la douce manie des historiens du Berry en répétant en leur docte compagnie que leurs ancêtres étaient presque antédiluviens. Il faut laisser aux fossiles ces ori-